Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/1067

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1063
MANCHESTER.

Manchester est nettement indiqué, dans l’enquête de 1834, par M. Braidley, qui déclare que, si la population s’est accrue de cent pour cent, le nombre des débits de genièvre et de whiskey a quadruplé dans le même espace de temps.

Il y a vingt ans, l’ivresse à Manchester était réputée encore un plaisir honteux. On n’entrait dans les cabarets qu’à la dérobée et par des portes bâtardes (private doors) ; pour toute enseigne à ces lieux de débauche, une chandelle placée derrière la fenêtre jetait aux passans l’avertissement de douteuse clarté. Aujourd’hui que l’ivrognerie est entrée dans les mœurs, l’habitude a vaincu la honte, et ce qui faisait rougir les hommes n’embarrasse plus les femmes ni même les enfans. Peu à peu la lumière éclatante du gaz a illuminé les cabarets, les portes se sont élargies, l’échoppe est devenue une boutique, et la boutique une espèce de palais. L’attrait des jeux tolérés dans certaines maisons ne suffisant plus, on y a joint la musique, la danse et les spectacles qui peuvent plaire à un auditoire de gens dissolus. Les concerts au cabaret n’avaient d’abord lieu que dans la mauvaise saison. Aujourd’hui c’est pendant toute l’année que l’on entend, comme à Liverpool, retentir dans les salles hautes des lieux publics l’orgue, le piano ou le violon. Une de ces maisons, située non loin de la bourse et à l’entrée du pont Victoria, réunit chaque soir jusqu’à onze heures mille personnes à la fois. Le dimanche, pour diminuer le scandale, on module sur l’orgue ou sur le piano les tons plus graves des psaumes et des hymnes religieux[1].

Les débitans de bière, ne pouvant plus lutter à armes égales avec leurs fortunés rivaux les débitans de liqueurs, offrent aux consommateurs, pour les rappeler dans leurs échoppes, des facilités inouies. Pendant que l’ouvrier est souvent réduit, pour s’enivrer de gin, à mettre en gage, dans l’une des cent cinquante boutiques de prêt que Manchester renferme, sa redingote ou le châle de sa femme, les cabarets à bière le relèvent de cet embarras en recevant le paiement de leur boisson en nature, en acceptant du beurre, de la farine, du sucre, et quelquefois des effets d’habillement. Les commis et les gens de la maison, quand cela ne suffit pas pour amener des chalands, vont raccoler les ouvriers à la sortie des manufactures. Enfin, et pour dernier argument, pendant que le public house veut être payé comptant, le beer house vend à crédit.

Un observateur déjà cité, M. Braidley, s’étant placé le soir à la

  1. Report on drunkenness, passim.