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Que de tels exemples ne soient pas perdus, et que les catastrophes du passé garantissent au moins la sécurité de l’avenir ! Osons dire la vérité tout entière, donnons au pouvoir ce témoignage d’un dévouement sincère et désintéressé. La France croit la politique de son gouvernement dominée par une seule préoccupation, et le pays eût-il tort, il n’en faudrait pas moins compter avec lui. L’émotion causée par le désaveu de l’amiral Dupetit-Thouars, l’importance peut-être exagérée attachée à l’affaire de Taïti, ne sont que des symptômes nouveaux de l’état général des intelligences, du mal chronique qui les domine. Là est le germe d’un péril sur lequel force sera bien d’ouvrir les yeux, là peut-être gît le principe d’une réaction dont il faut dès aujourd’hui prévoir les résultats. Sachons donc nous y dérober en pratiquant autrement cette politique de modération et de paix qui fut librement choisie par la France après 1830, et qu’elle n’a pas cessé de tenir pour la plus morale et la plus utile. Ne nous exposons pas à compromettre le fond par la forme, le système lui-même par la manière dont on l’applique.

Pour donner à la monarchie actuelle une pleine confiance en son avenir, dans le cas même d’une complication extérieure, il devrait suffire de voir la France telle que son histoire l’a faite, cette France plus dangereuse dans son repos que dans ses épreuves, et où l’état de paix suscite au pouvoir des périls plus redoutables peut-être que l’état de guerre. D’ailleurs, quelle est la situation de l’Europe ? quel cabinet avons-nous à redouter, et à quelle puissance la paix n’est-elle pas plus nécessaire qu’à nous-mêmes ?

Le besoin de se concilier la France à tout prix est désormais, et pour longues années, passé en Angleterre à l’état d’axiome dans les rangs de tous les partis. L’Irlande, plus fortement organisée qu’à aucune autre époque de son orageuse histoire, verrait, dans une collision avec nous, le signal d’un triomphe que, dans une telle hypothèse, elle conquerrait même sans combat. L’état intérieur des trois royaumes constate mieux de jour en jour l’impossibilité d’affronter un conflit dont l’effet serait de livrer cette société aux forces vives qui s’agitent dans son sein. Ce mouvement marche à pas de géant, et l’avénement du ministère tory a évidemment avancé, pour la Grande-Bretagne, l’instant d’une transformation sociale, inévitable et désormais prochaine. Le terrain que le chartisme perd depuis un an est conquis par les classes moyennes, qui agissent aujourd’hui avec une énergie et un ensemble tout nouveaux. La ligue des céréales a été le lien de ces innombrables intérêts de commerce et d’industrie qui jusqu’à présent y avaient été presque constamment écrasés par la forte et compacte organisation agricole. La ligue donnera, aux prochaines élections générales, un puissant accroissement au radicalisme parlementaire ; elle fera triompher le scrutin secret, les parlemens à courte échéance, elle commencera la modification de la législation économique et civile de la Grande-Bretagne. C’est au centre de ce grand mouvement que Daniel O’Connell est venu se placer avec une habileté et une audace incomparables. Sous le poids de la condamnation qui va l’atteindre, on l’a vu parcourir en trombe cette Angleterre qu’il a maudite si long-temps du haut de ses montagnes natales. Dans la salle de Covent-Garden