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1832 était l’expiation de la charte de 1830, attendu qu’il y a dans toute charte une hérésie ou une impiété. Un dieu légitimiste, voilà le dieu de cette théodicée.

Ici nous aurons, et toujours au nom de l’Évangile, une monarchie théocratique, là une théocratie pure, basée sur la communion métaphysique des ames, et dans laquelle disparaîtront l’amour paternel, l’amour filial, l’amour conjugal, qui ne sont que des formes diverses de l’égoïsme sympathique, et qui doivent s’absorber dans une affection unique, l’affection de la grande famille humaine, dont le père est au ciel. Ailleurs encore, et toujours au nom de l’Évangile, c’est une aristocratie mystique qu’on appelle, attendu que le sentiment de l’égalité n’est qu’un instinct de convoitise[1], et que « la manne spirituelle qui fait vivre les nations a été déposée par Dieu même aux mains de la noblesse ; c’est donc à la noblesse qu’il faut confier le pouvoir, car elle seule est chargée de l’initiation. » L’auteur du Platon polichinelle nous propose à son tour de convertir les chambres en monastères, et d’astreindre les députés au moment du vote des lois, à des jeûnes sévères au pain et à l’eau. En qualité de moines, ils feront vœu de pauvreté, et se trouveront très satisfaits de toucher 50 cent. par jour, ce qui donnera pour chacun d’eux 182 fr. 50 cent. au bout de l’année, et le pays en sera quitte, pour le traitement des deux chambres, moyennant une somme annuelle de 12,750 fr. Il est impossible de trouver un gouvernement à meilleur compte, à moins toutefois qu’on ne substitue, ainsi que le veut un illuminé du néo-catholicisme, Dieu aux instrumens de chair, à qui le monde obéit pour son malheur.

Le fouriérisme lui-même, le fouriérisme sensuel et matérialiste, devait se christianiser, et M. Louis Rousseau, dans sa Croisade du dix-neuvième siècle, afin de réveiller d’un sommeil dangereux ses contemporains, qui marchent comme des somnambules au bord d’un abîme, a tenté de concilier Fourier et saint Benoît, le phalanstère et le couvent, pour créer la tribu chrétienne. La voix de tous ces utopistes s’est perdue dans les bruits sérieux de la vie ; tous ces réformateurs naufragés ont célébré leurs agapes dans des catacombes, et c’est par là seulement qu’ils nous rappellent la primitive église. Mais d’autres voix ont retenti avec un éclat qui serait devenu fatal au repos de la société, si pour récolter des tempêtes il suffisait toujours de semer du vent. Les Paroles d’un Croyant ont fait école : le pastiche biblique a été décalqué dans des pastiches nouveaux, et les Jérémies modernes ont psalmodié Babeuf en exagérant M. de Lamennais. L’apôtre du radicalisme catholique se signe dévotement avant de commencer son prône contre la propriété, contre la loi. Ce ne sont pas les excès, les abus du pouvoir qu’il attaque, c’est le pouvoir en lui-même, quel qu’il soit, parce qu’il le confond toujours avec la tyrannie, comme il confond l’obéissance avec l’esclavage. « Le Christ, dit-il au peuple, quand il est venu pour le racheter, s’est con-

  1. Études sur les idées et leur union au sein du Catholicisme, vol. I, p. 223-229.