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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

tenté de te sauver dans ton ame ; mais sa pitié s’est arrêtée là : il t’a laissé la souffrance et le travail comme une expiation. Plus charitable, j’abolirai le mal, je ferai pour toi ce que n’a point fait la victime du Calvaire ; je te donnerai la communauté, et te baptiserai avec le sang impur que tes mains généreuses auront versé. Ainsi soit-il. » Telle est en substance la trame des prédications que propagent depuis quelques années, dans des pamphlets ou des almanachs populaires, les communistes et les solidairunis, qui travaillent, en invoquant l’Évangile, à la désapprobation individuelle.

Ici, une démocratie sans frein nous ramène aux hérésies d’Épiphane, des pauvres de Lyon, à la fraternité de Muncer ; là, c’est la théocratie qui nous fait reculer jusqu’à Grégoire VII. Les bénédictins de Solesmes tentent, au nom de l’ultramontanisme, une émeute liturgique contre les bréviaires gallicans, et des séminaristes, qui parodient Joseph de Maistre, réclament pour le pape la suprématie temporelle. — Le pouvoir de l’église, établi par Dieu même, ne peut être borné par les hommes. Interdire au pape l’arbitrage souverain de la politique européenne, c’est exclure Dieu lui-même du gouvernement du monde, car le pape est seul interprète de tous les devoirs et de tous les droits. — Par cette interprétation des droits, on espérait sans doute engager le vieillard qui règne à Rome dans une cause à jamais perdue ; mais c’est jouer de malheur en vérité, car ici les ultramontains ont contre eux la papauté du XIXe siècle, Grégoire XVI, qui a dit : « Préoccupée du bien des ames, l’église n’entend nullement porter dans un intérêt de parti un jugement sur les droits des personnes… La coutume et la règle du clergé apostolique est de veiller partout à la sage administration des choses spirituelles, sans que pour cela il soit censé avoir rien statué sur la connaissance et la fixation des droits des princes[1]. » La restauration s’est perdue par les hommes qui étaient plus royalistes que le roi ; l’église se compromet par ceux qui sont plus papistes que le pape. Ainsi, en résumé, que trouvons-nous dans la philosophie de l’école ultra-catholique ? Dans le dogmatisme, des illuminés ; dans la lutte contre la raison, des sceptiques ; dans la polémique contre les libres penseurs, des adversaires sans sincérité. Il y a pourtant dans cette école des hommes qui réclament, au nom de l’église, le droit de surveillance et de contrôle absolu sur les sciences spéculatives : attendons de leur part, pour accepter le contrôle, des œuvres plus sérieuses. Croire n’est pas savoir, et les philosophes qu’on attaque pourraient demander avec raison à ceux qui nient le libre examen, ou qui se perdent dans les évanouissemens du mysticisme, cette agonie de l’esprit, ainsi que l’a dit un penseur du moyen-âge : Quel élément nouveau avez-vous donné à la science ? Quel argument sérieux avez-vous prêté à la foi ? À vous entendre, vous apportez la lumière, et vous faites tout simplement comme les architectes des cathédrales, qui éteignaient les clartés du jour sous les vitraux

  1. Sollicitudo ecclesiarum. Constitution de SS. Grégoire XVI, 5 avril 1831.