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adeptes, les uns qui, avant 1830, se contentaient d’être simplement croyans, les autres qui apportaient dans le combat toute l’ardeur d’une conversion récente. Aujourd’hui la pieuse phalange compte de nombreux soldats, et tous les jours les organes de la critique prétendue religieuse découvrent à l’horizon un nouvel astre poétique, tous les jours ils promettent la gloire et décernent le génie à de nouveaux élus ; mais ceux qui espèrent ainsi augmenter leurs forces ne font le plus souvent que marier deux excès, deux maladies, l’ambition littéraire et l’intolérance religieuse. Jugeons l’union par ses résultats.

Parmi les poètes qui ont traversé la restauration pour arriver au néo-catholicisme, nous trouvons d’abord MM. Soumet et Guiraud. Tous deux ont méconnu pour des rêves ambitieux leur vocation élégiaque. M. Soumet a égaré dans le fracas d’une épopée divine la voix qui avait chanté la Pauvre Fille, et M. Guiraud a oublié les naïfs accens des Petits Savoyards pour devenir l’infatigable écrivain que nous connaissons. Au moins M. Guiraud, hérétique dans sa prose, s’est-il montré dans sa poésie controversiste irréprochable. De vives prétentions à l’orthodoxie semblent demander grace dans le Cloître de Villemartin pour les témérités de la Philosophie catholique. Les invectives que M. Guiraud prodigue aux sceptiques et aux voltairiens lui ont même valu les éloges de critiques fort compétens en pareille matière. Toutefois de pareils succès ne comptent pas devant l’art, et le zèle du néophyte déguise mal chez M. Guiraud la faiblesse de l’écrivain. On cherche dans ses vers le rayon de l’enthousiasme chrétien, on n’y trouve que la stérile exaltation de l’intolérance. Les néo-catholiques peuvent revendiquer en M. Guiraud un de leurs plus féconds producteurs, mais qu’ils renoncent à le saluer poète. Ce n’est pas une lyre, c’est une plume intempérante qu’ils ont gagnée dans l’auteur de Flavien.

M. Soumet a été encore moins heureux que M. Guiraud : l’hérésie littéraire se complique dans la Divine Épopée de l’hérésie religieuse. Mondains et dévots ont également protesté contre l’écrivain, les uns au nom du goût, les autres au nom de la foi. Les premiers n’ont trouvé dans ce chaos solennel que quelques beaux vers égarés dans un immense ennui ; les autres y ont découvert une abominable profanation. La tentative de M. Soumet est d’ailleurs une exception, et les poètes néo-catholiques visent d’ordinaire à une scrupuleuse orthodoxie. M. Reboul, le seul qu’on puisse nommer parmi ceux qui partagent avec M. Soumet la prétention épique, s’est attaché, dans le Dernier Jour, à concilier le dogme et l’imagination ; une seule chose lui a manqué : c’est l’imagination même. On avait accueilli avec faveur les premiers essais de M. Reboul, où la distinction du sentiment contrastait avec l’humble condition de l’auteur. Il n’en a pas fallu davantage pour exalter l’orgueil du boulanger de Nîmes, et celui dont l’haleine avait pu animer quelques stances agréables a voulu chanter la fin du monde. La palme de l’épopée a échappé à M. Reboul comme à tant d’autres ; lui reste-t-il au moins celle de l’ode ou de l’élégie ? Malheureusement, qui dit génie lyrique dit ori-