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REVUE DES DEUX MONDES.

Il tombe sous le sens qu’un système d’emprisonnement qui augmente ainsi les chances de mortalité parmi les détenus doit affaiblir la constitution de ceux qu’il ne tue pas et les prédisposer à un grand nombre de maladies. On en trouvera la preuve dans le rapport du médecin de Philadelphie sur l’état sanitaire de la maison pendant l’année 1839[1]. En effet, sans compter 73 cas de maladie, dont les condamnés avaient, selon lui, apporté le germe dans la prison, cet observateur constate lui-même 196 atteintes sérieuses à la santé des prisonniers, ce qui donne 1 malade sur 2 détenus. Aucune prison connue ne présente un pareil catalogue d’accidens. Ajoutons que ce catalogue, si lamentable qu’il soit, ne dit pas tout. On y a porté les maladies graves, mais on a passé sous silence ces infirmités qui ne se manifestent que par le dérangement de certains organes, laissant encore à l’homme la faculté d’agir et de s’appliquer au travail. M. Charles Dickens, qui a visité le pénitencier de Philadelphie, non pas en romancier, mais en observateur, et avec une sûreté de coup-d’œil que n’ont pas montrée bien des philanthropes de profession, a remarqué que la plupart des détenus avaient contracté dans la prison un tremblement nerveux, et que d’autres étaient devenus presque sourds après plusieurs années de détention : tant il est vrai que les facultés que l’homme n’exerce pas finissent par se détruire, les organes se rouillant dans cette inaction absolue.

On vient de voir à quel point l’emprisonnement solitaire avait été fatal à la santé des détenus dans le pénitencier de Philadelphie. L’action de ce système sur leur raison n’est pas moins funeste ; la commission elle-même le reconnaît. « Il y a eu à Philadelphie, dit M. de Tocqueville dans son rapport, un certain nombre de surexcitations mentales qui, s’étant manifesté dans la prison, peut être attribué au régime en vigueur. » Après un pareil aveu, nous ne comprenons pas que la commission ait passé outre. Si le but que l’on se propose en renfermant les malfaiteurs dans les prisons est non pas d’éteindre ou d’énerver leur intelligence, mais seulement de les mettre hors d’état de nuire et de les préparer à une vie meilleure, comment des hommes graves peuvent-ils recommander à la chambre et à la France un système qui, dans leur propre conviction, surexcite l’esprit des détenus au point de les exposer et de les disposer à la folie ?

Il est bon de noter qu’en faisant cette concession aux adversaires du projet, la commission ne semble pas avoir connu toute l’étendue

  1. Eastern penitentiary, eleventh report.