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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

fournis par des prêtres, surtout par les secrétaires des évêchés, et quelques jeunes laïcs, néophytes inexpérimentés. L’Univers, à ses débuts, paraissait trois fois par semaine, et il végéta ainsi plusieurs années obscurément, sans doctrines, sans but apparent, et avec une teinte légitimiste, entre l’Ami de la Religion et le Journal des Villes et des Campagnes. Ballotté de chute en chute et de propriétaire en propriétaire, il passa, vers 1836 sous la direction de M. de Saint-Chéron, qui appartenait à la presse gouvernementale, et qui donna à la feuille dont il était le principal rédacteur politique une couleur dynastique assez fortement prononcée. M. de Saint-Chéron prêcha au clergé l’obéissance au pouvoir établi ; les légitimistes, et par conséquent une certaine portion du clergé, se déclarèrent alors contre l’Univers, qui fut même interdit dans quelques séminaires. On essaya, par des offres avantageuses, de mettre la main sur le journal, mais ces offres furent loyalement repoussées par M. de Saint-Chéron. Alors le parti légitimiste désappointé fonda l’Union catholique pour neutraliser auprès du clergé l’influence de l’Univers. La rédaction de l’Union fut confiée à des jeunes gens riches, journalistes amateurs, qui résolurent d’emblée un problème qu’on aurait pu croire insoluble : ce problème, c’était de faire un journal plus médiocre encore que l’Univers. Malgré cette nullité, à cause de cette nullité peut-être, l’Union avait rallié un certain nombre de lecteurs, lorsqu’après deux ans, au premier embarras, les rédacteurs, qui avaient dépensé plus de deux cent mille francs, perdirent tout à coup patience ; après avoir hésité quelque temps entre la Quotidienne et l’Univers, ils se décidèrent enfin pour l’Univers, et offrirent à l’administration de ce dernier journal leur collaboration et leurs abonnés. L’offre fut acceptée, et l’on vit alors, chose inouie dans les annales de la presse, une feuille quotidienne s’absorber dans celle qu’elle avait mission de combattre et de détruire. L’Univers ajouta à son titre celui d’Union catholique, et cette fusion lui attira de divers côtés des interpellations fort vives. La situation était délicate et complexe ; forcé de ménager ses anciens et ses nouveaux abonnés, de concilier ses nouveaux et ses anciens rédacteurs, l’Univers se trouva dans la situation d’un bedeau qui, placé entre un marguillier constitutionnel et un curé légitimiste, voudrait éviter de se prononcer de peur de se compromettre. Il fallut se prononcer cependant. La Quotidienne avait accusé vivement les rédacteurs de l’Union de manquer à leur mission légitimiste en s’associant à un journal qui avait exploité au profit de l’opinion dynastique les croyances de ses lecteurs ; l’Univers répondit en s’humiliant qu’il n’avait jamais été, qu’il ne serait jamais ce qu’on appelle un journal dynastique, et qu’il n’avait soutenu aucune opinion qui pût blesser un légitimiste raisonnable et chrétien[1]. M. de Saint-Chéron quitta vers ce moment la rédaction en chef, et la modération dans laquelle il avait cherché (sans y réussir toujours) à maintenir le journal fit place à l’esprit d’aven-

  1. Voir, pour cette polémique, les nos des 6 et 8 février 1843.