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garde de rien faire qui, de près ou de loin, pût aider l’Angleterre à réparer ses pertes, à se dégager de ses difficultés. Voilà comment raisonnent les intérêts de la France à l’endroit de l’entente cordiale. Cela peut être de l’égoïsme très sec ; je m’en accommode volontiers, si c’est de l’égoïsme clairvoyant, et je ne laisse pas dire que ce n’est pas un égoïsme légitime. Heureux, monsieur, les hommes d’état qui s’en pénètrent ; les égoïstes de cette sorte sont simplement ceux qui méritent d’être appelés patriotes. On peut être l’adversaire ou l’ami des hommes qui occupent le pouvoir ; mais, quelque sentiment que l’on ait pour eux, on est forcé de leur souhaiter cet égoïsme, d’aussi bon cœur que l’on souhaite le bien de son pays.

De cet égoïsme, que je n’inspire pas des ressentimens du passé, j’exclus l’hostilité comme la confiance cordiale, parce que j’en exclus la passion ou le pur sentiment, qui, dans un sens comme dans l’autre, ne font que des fautes. Que les hommes d’état qui gouvernent les deux pays s’estiment et s’aiment, je ne m’en plains pas, parce que c’est une garantie pour le maintien des rapports pacifiques ; mais que les deux pays se tiennent dans une telle disposition d’esprit qu’ils soient prêts à se rendre mutuellement toute sorte de bons offices et de services, la France se tromperait grossièrement, si elle l’attendait de l’Angleterre : elle déserterait ses intérêts, si elle s’abandonnait pour sa part à cette folle générosité. La vigilance, une vigilance constante à ne pas laisser échapper un seul des avantages que les circonstances pourront la mettre à même de reprendre sur l’Angleterre, voilà, monsieur, la disposition dans laquelle la France doit se maintenir. Il ne faut pas la confondre avec l’hostilité aux passions belliqueuses. Entre une confiance imprévoyante, entre une amitié téméraire et la haine irréfléchie et turbulente, il y a un milieu pour la prudence et l’habileté, un milieu où s’inspirent la vraie politique et la sage conduite. C’est cette situation d’esprit, composée de sagacité, d’application, de persévérance, qu’on loue chez les individus qui, à travers les luttes de la vie, parviennent à se rendre maîtres du succès et à mettre la fortune de leur côté.

Je ne crois pas qu’à aucune époque plus qu’aujourd’hui il ait été important que ce sentiment fût bien compris par la France et inspirât les hommes qui ont le maniement des affaires. Il se passe en Angleterre des faits dont il est impossible qu’une politique clairvoyante, habile, ne puisse retirer pour la France de solides profits. La politique qui n’aurait pas compris cette situation, qui ne l’aurait pas étudiée avec soin, et, faute d’en avoir démêlé les conséquences, compromet-