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principalement à parfumer une liqueur fort agréable à laquelle il donne son nom, et que les Grecs et les juifs livrent aux Turcs.

En résumé, les exportations de Rhodes consistent en bois de construction, en fruits secs, en olives, en éponges fort belles, qui se trouvent aux abords de l’île. Les importations se réduisent aux grains nécessaires à la population, qui ne sait pas tirer de son territoire le blé et le maïs, qui pourraient y venir avec facilité. Une trentaine de barques suffisent à ce commerce : les Grecs seuls naviguent, ils vont et viennent, partent avec quelques caisses et rapportent un chétif chargement de grains ; mais ces bateaux qui sortent tristement du port et qui reviennent s’échouer sur les sables ne peuvent s’appeler une marine, ces échanges misérables faits par des matelots voleurs ne sauraient usurper le nom d’opérations commerciales. Il ne reste rien à Rhodes de la puissance de l’île fortunée qui, avec ses galères, résistait aux successeurs d’Alexandre et aux barbares ; il n’y a plus de traces de cette prospérité de deux siècles qui s’abritait sous le fier étendard de la croix. L’île n’est maintenant qu’une savane magnifique où la nature verse en liberté tous les trésors d’une sauvage végétation que l’homme ne vient jamais ni diriger ni contraindre ; dans le pâle fanal qui veille pendant la nuit sur la tour des Arabes, les navigateurs ne voient aujourd’hui qu’un point de reconnaissance pour éviter cette terre où depuis long-temps ne germent que des fleurs inutiles. Cependant les bateaux à vapeur autrichiens qui vont de Smyrne à Beyrouth font maintenant escale à Rhodes, et plusieurs navires marchands viennent y purger leur quarantaine avant de se rendre dans le Nord. Peut-être cette nouvelle navigation donnera-t-elle plus de mouvement à l’île, peut-être les passagers, les voyageurs des paquebots, les capitaines de bâtimens, trouveront-ils à vendre et à acheter dans ce port silencieux. Il faut l’espérer ; mais une secousse violente peut seule tirer cette île de la léthargie profonde où elle est plongée, comme l’empire tout entier.

De grands cris m’arrachèrent à ma contemplation et me rappelèrent vers mes compagnons de voyage. Il était tard, et du haut de la montagne nous vîmes le soleil s’éteindre dans les flots ; les Sporades parurent s’abîmer avec lui, les vallées s’obscurcirent, et la nuit tomba mollement, apportant avec elle un calme profond. Le lendemain, la frégate la Perle était sous voiles pour Athènes.


Ch. Cottu,
lieutenant de vaisseau.