Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/872

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
868
REVUE DES DEUX MONDES.

pasteur qui exerce aussi dans sa campagne les fonctions de maître d’école. Nulle part pourtant Jean-Paul n’a mieux réussi que dans Siebenkaes à rendre ces misères et ces joies d’une existence médiocre. Comme peinture de certaines douleurs inqualifiables qu’une ame poétique mise en contact avec les réalités suffocantes d’une vie étroite et besogneuse peut seule ressentir, Siebenkaes, l’Avocat des pauvres, est un chef-d’œuvre. D’une touche si délicate et si fine, d’un coloris si vrai, d’un art si merveilleux de faire intervenir l’idéal au sein de l’intérieur le plus bourgeois, il n’y a d’exemple que dans les tableaux de Mieris et de Gérard Dow. Je cherche en vain parmi nos productions contemporaines un équivalent à cette littérature. Peut-être M. de Balzac, dans quelques passages de la Recherche de l’absolu ou d’Eugénie Grandet, en donnerait-il une idée lointaine ; mais non : M. de Balzac, humoriste par l’esprit seulement, plus cousin de Rabelais que de Cervantes, n’a rien de la sensibilité chaleureuse, de l’onction sympathique du sublime rêveur allemand. D’ailleurs, chez M. de Balzac, l’étude de la vie réelle recherche trop assidûment certains détails dont le goût n’est point sans reproche et qu’il faudrait omettre. On y respire ça et là cette odeur nauséabonde de la pension bourgeoise décrite avec tant de complaisance dans le Père Goriot. Jean-Paul, au contraire, si bas qu’il descende, épure toujours à je ne sais quels filtres poétiques les réalités incompatibles avec les convenances d’une œuvre littéraire. De là sans doute le reproche qu’on lui fait de subtiliser, de quintessencier ; mais l’auteur d’Hesperus et de Siebenkaes est avant tout poète. Son analyse lui vient de la Muse, un peu hermine, comme on sait, et qui, lorsqu’il s’agirait de se crotter, préfère s’en tenir à la devise bretonne : Plutôt mourir.

L’intérieur de Siebenkaes, sa misère, les tribulations à la fois si tristes et si bouffonnes de sa vie d’homme de lettres sont autant de tableaux d’une vérité frappante et que le rédacteur besogneux des Papiers du Diable se trouvait, hélas ! mieux que personne en état de peindre d’après nature. L’ouvrage fit sensation en Allemagne. On a toujours aimé de l’autre côté du Rhin cette poésie de coin du feu, cette idylle bourgeoise qui prend pour théâtre, non plus les campagnes fortunées de l’Eurotas, mais une étroite chambre bien nue et bien obscure où s’escrime au milieu d’un tas de bouquins et de paperasses un pauvre diable d’auteur inconnu qui dépose la plume pour souffler dans ses doigts. Et puis cette fois les personnages du roman étaient connus de tous, le tableau de genre avait l’intérêt d’un portrait de famille. Comment s’y tromper en effet ? Comment ne pas retrouver