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MOUVEMENT INTELLECTUEL DE L’ESPAGNE.

les autres citoyens ; ce sont absolument les mêmes opinions religieuses, la même éducation, les mêmes mœurs, les mêmes manières, nous pouvons ajouter les mêmes intérêts, bien qu’il subsiste encore çà et là, dans les Asturies et en Castille, quelques débris de la législation féodale parmi les dispositions qui régissent la propriété immobilière. Mais ce qu’il y a de remarquable et, selon nous, de particulier à l’Espagne, c’est que la noblesse est aujourd’hui la première à demander la suppression de ces lois, qui lui imposent plus d’entraves qu’elles ne lui concèdent de priviléges. N’est-ce point un bonheur pour l’Espagne que ses assemblées législatives n’aient point à se préoccuper du remaniement de la propriété territoriale, problème effrayant qui se retrouve, au moins à l’état de menace, dans le programme de toutes les révolutions ? Tout ceci est parfaitement déduit dans un écrit fort court, mais extrêmement substantiel, sur les derniers produits de la dîme, De los ultimos valores del diezmo, de don José de la Pinilla, que vient de publier la Revista de España y del Estranjero, et dans les Essais politiques sur l’Espagne (Reseñas politicas de España), où M. Gonzalo Moron, examinant le vieux régime et le discutant, pour ainsi dire, règne à règne, a très nettement indiqué ce qu’il en faut nécessairement détruire et ce que l’on en peut conserver.

Parlerons-nous de la haute noblesse ? À quoi bon ? Voyez les plaisanteries et les sarcasmes dont le poète Larra, dans ses Lettres de Figaro (las Cartas de Figaro), M. Gonzalez-Bravo lui-même, toute la presse, en un mot, a, depuis 1833, accablé les tristes personnages qui portent le chapeau, et dites-nous s’ils peuvent inspirer la moindre appréhension. Rabougris d’ame et de corps, les grands actuels, si on leur remettait la puissance de l’oligarchie vénitienne au moyen-âge, seraient incapables d’en user pour ou contre quoi que ce soit. Aucune autre classe en Europe n’a donné l’exemple d’une pareille décadence. Et d’ailleurs, on s’exagère parmi nous l’importance qui s’attache à leur titre ; trop de favoris et de parvenus ont inscrit leurs noms, depuis Charles III, sur le livre d’or de la grandesse, pour que les pages de ce livre n’en soient pas un peu maculées. — À demi ruinés, du reste, par les frais exorbitans de la plus inutile représentation qu’aient jamais exigée les convenances dans un état purement monarchique, les grands d’Espagne devraient bénir un ordre social qui détruira ces convenances en les rendant ridicules, qui leur permettra de relever peu à peu leur fortune et d’en faire un meilleur emploi. N’était-ce pas un point d’honneur bien misérable que de se croire obligé, par les traditions du XVe ou du XVIe siècle, à l’entretien fastueux de tous ces écuyers, pages, laquais, chambellans, majordomes et autres fainéans galonnés, qui naguère encore encombraient, de l’escalier d’honneur à la galerie des ancêtres, le palais d’un Oñate ou d’un Altamira. ?

Les dispositions du clergé ne sont pas moins rassurantes que celles de la noblesse ; la situation politique et civile du clergé est clairement établie dans un essai sur le droit ecclésiastique, publié en 1842 sous le titre de Juicio analitico (Jugement analytique), par don Severo Andriani, évêque