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qui a duré cinq ou six jours ; ce n’est pas dans un laps de temps si court que les intérêts commerciaux de M. Pritchard ont pu souffrir gravement. Une indemnité pour le dommage causé par une circonstance si minime n’aurait point de sens. Si l’on paie une indemnité à m. Pritchard, on l’évaluera évidemment d’après le tort que lui aura causé son expulsion. Or, cette expulsion ayant été reconnue légale, l’indemnité manque de base.

Contraire à la dignité du pays, l’indemnité sera surtout blessante pour les chambres, qui seront naturellement appelées à voter le crédit destiné à la payer. On doit supposer que le cabinet espère tirer un assez bon parti de cette circonstance. Il compte sur l’adhésion forcée de la majorité, sur un vote que la situation rendra nécessaire, et dont le résultat sera d’entraîner le parlement dans une solidarité apparente avec lui. Si les chambres résistent, M. Guizot agitera devant elles le flambeau de la guerre. Il est probable que la majorité votera le crédit ; mais il est douteux que ce vote ne lui laisse pas un vif ressentiment contre M. Guizot.

Du reste, la presse ministérielle nous montre déjà l’attitude que M. le ministre des affaires étrangères prendra devant les chambres. Durant six semaines, elle n’a rien négligé pour alarmer le pays, et depuis la conclusion du différend de Taïti, elle déroule chaque matin sous nos yeux l’effrayant tableau des dangers que nous venons d’éviter, grace à la prudence et à la fermeté de M. Guizot. Tous les jours on nous affirme qu’une rupture a été sur le point d’éclater entre les deux nations, et que cette rupture pouvait amener la guerre ; on ajoute que la guerre avec l’Angleterre eût été la guerre avec le monde ; on va même jusqu’à dire que la France, surprise par cette guerre, se serait trouvée sans armée, sans flottes, sans alliés sur le continent. Le bon sens du pays fera justice de ces exagérations ridicules et de ces paroles imprudentes ; il devinera sans peine qu’elles ont pour but de justifier les concessions faites à l’Angleterre, et de présenter l’œuvre de M. Guizot sous un jour honorable, en grossissant les difficultés qu’il a dû vaincre pour l’accomplir. Sans doute, la situation a mérité une attention sérieuse, les prétentions du cabinet anglais ont été exorbitantes, le langage tenu par M. Peel dans le parlement a pu laisser quelques traces dans les négociations ; mais il y a loin d’une difficulté diplomatique à une rupture et à une guerre, surtout quand cette difficulté s’élève entre deux grands peuples, et à propos d’un misérable incident. Nous sommes persuadés que M. Guizot et M. Peel n’ont pas cru un seul instant à la guerre, et qu’ils sont disposés à rire de cette comédie assez habilement jouée par eux pour donner de l’importance à leur politique et se faire décerner des actions de graves par leurs amis.

Sans parler de toutes les raisons générales qui font qu’une guerre avec la France serait aujourd’hui une immense difficulté pour l’Angleterre, sans parler de l’Irlande qui la tient en suspens, ni des agitations populaires qui fermentent dans son sein, ni du poids de sa dette, ni de ses embarras extérieurs ; sans parler enfin des dispositions amicales de la reine Victoria pour la maison royale de France, M. Guizot avait près de lui, à Paris, un garant que la paix ne serait point troublée. C’était lord Cowley, qui n’a pas cessé