Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/1029

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un moment de témoigner sa confiance dans les intentions pacifiques des deux pays, et d’inspirer cette sécurité à tous les membres du corps diplomatique. M. Guizot savait bien, par le langage de lord Cowley, que le ministère anglais ne voulait pas la guerre. S’il eût su profiter de sa situation, il eût obtenu un arrangement plus conforme à la dignité de la France. En suivant une politique plus ferme et plus habile, il n’aurait pas troublé la paix ; il n’aurait pas même créé un obstacle à l’établissement de cette alliance intime qui est depuis quatre ans son rêve et son erreur. Loin de là, au lieu d’entraver l’alliance, il l’eût puissamment secondée. Si jamais ce bon accord que l’on a nommé l’entente cordiale doit régner entre la France et l’Angleterre, ce sera lorsque les deux peuples vivront ensemble sur un pied d’égalité parfaite, lorsque l’un ne pourra pas se sentir froissé par l’autre, lorsque chacun aura sa juste part d’action et d’influence. Tant que cet équilibre n’existera pas, l’alliance intime sera une chimère. M. Guizot eût pu maintenir cet équilibre dans l’affaire de Taïti. L’Angleterre, plus vivement pressée, mieux éclairée sur nos droits, aurait abandonné sans honte des prétentions injustes dont le triomphe était inutile à sa gloire. En accordant à l’Angleterre ce qu’elle n’avait pas droit d’exiger, en souscrivant un arrangement qui blesse la France et place les deux pays dans des situations inégales, M. Guizot a compromis le succès de l’œuvre qu’il a vainement poursuivie jusqu’ici. Au moyen de cette transaction boiteuse qu’il vient de conclure, la paix est garantie, et les deux peuples pourront vivre encore en bonne intelligence ; mais tout espoir d’une entente cordiale est perdu pour long-temps.

Au surplus, ce résultat sera peu regretté. Si la France doit renoncer au plaisir amer de cultiver les fruits de l’entente cordiale, elle trouvera ailleurs des compensations. Le moment est venu de la diriger dans une voie plus sûre, où l’appellent les vrais intérêts de sa puissance et de son honneur. L’Angleterre doit être satisfaite. Nos concessions lui ont prouvé notre ardent désir de conserver avec elle des relations amicales : restons-en là. Si elle fait à nos procédés l’accueil qu’ils méritent, si elle se montre empressée pour notre alliance, nous profiterons de cette bonne fortune ; sinon, nous userons de notre liberté, sans pour cela rompre avec elle. Nous tournerons nos regards vers le continent. Le système de l’entente cordiale nous a nui de ce côté depuis quatre ans. On s’est senti blessé de nos préférences exclusives pour l’Angleterre. Néanmoins, tout récemment, marré les fautes de notre diplomatie, plusieurs états du continent nous ont témoigné des intentions bienveillantes lors du conflit qui s’est élevé entre l’Angleterre et nous. lis ont reconnu la justice de notre cause. Ils se sont placés du côté du droit. Ce sont là des dispositions qu’il serait imprudent de négliger. Quatorze années d’un gouvernement paisible et régulier ont dû dissiper sur le continent beaucoup d’ombrages qu’avaient fait naître des paroles et des désirs échappés à la première fougue d’une révolution triomphante. Tout le monde sait aujourd’hui que la France constitutionnelle est à l’épreuve de l’ambition comme de l’anarchie ; elle ne veut que des progrès légitimes. Cette confiance que nous devons inspirer sur le continent petit être la base d’une politique