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petits-fils des frères, des neveux et des arrière-neveux, il en viendrait à comprendre les choses et à estimer à sa juste valeur cette fécondité qui l’étonnait si fort. Passant alors de l’admiration au dépit, il prendrait peut-être la liberté grande de dire à chacun son fait ; peut-être même, comme dans toute réaction, irait-il trop loin.

Nous n’irons pas trop loin, nous, s’il plaît à Dieu. Nous resterons calme et modéré, priant la muse de la sage critique de nous tenir également éloigné de cette sévérité qui ressemble à de la colère, et de cette indulgence qui est de la faiblesse. Au milieu de l’abondance stérile de la littérature actuelle, nous ne demandons pas mieux que de démêler le bon grain, si menu soit-il, et nous allons nous y employer. Timeo hominem unius libri, disait Cicéron ; il nous redouterait peu, car nous lirons beaucoup, nous lirons le mauvais et le pire, à plus forte raison le médiocre et l’excellent. — Dans les temps de troubles civils, on naît souvent sans obtenir un acte de naissance ou de baptême. N’en arrive-t-il pas autant aujourd’hui pour un bon nombre des enfans de la pensée ? Pourquoi donc n’y aurait-il pas quelque part comme des fonts baptismaux où le riche et le pauvre nés de la veille viendraient recevoir leur nom ? Ce sera ici, à cette place, si l’on veut, et nous souhaitons, que la cloche qui sonnera le baptême ne sonne pas en même temps l’agonie. Cela dit, entrons en matière, et que les poètes aujourd’hui ouvrent la marche. N’est-ce pas un spectacle touchant dans les processions chrétiennes que ces enfans qui marchent en tête, jonchant le chemin de roses effeuillées ? J’espère que la comparaison est gracieuse, c’est à la conscience des poètes de dire si elle est aussi vraie.

En général, les auteurs des recueils poétiques, que nous avons sous les yeux sont jeunes : la poésie est un péché mignon de la jeunesse. Tel a fait à vingt ans des vers avec enthousiasme, qui à trente passe irrévérencieusement devant la Muse sans ôter son chapeau ; ceci soit dit sans décourager personne et sans mettre en doute aucun avenir poétique, surtout celui de M. Louis de Ronchaud. A jeter seulement un coup d’œil sur la table des poésies de M. de Ronchaud, à lire les titres suivans : le Statuaire, à la Muse, Orage de mai, à Novalis, on devine, ce que la lecture de l’ouvrage confirme amplement, que l’auteur des Heures a le véritable sentiment de l’harmonie. M. de Ronchaud manie le vers avec élégance ; de plus, il choisit heureusement ses sujets, bien qu’il eût pu se dispenser de refaire, dans sa Ballade du Pauvre Fou, ce célèbre Gastibelza de M. Hugo ; qui portait a son cou un chapelet du temps de Charlemagne, c’est-à-dire du temps où il n’y avait pas de chapelets, et qui, jetant pendant une vingtaine de couplets le mot fou à la rime du refrain, arrive à des effets si bizarres et si puérils : ce sont là jeux de prince ; et M. de Ronchaud n’a pas encore de principauté ; il n’a encore que du talent. Ce qui distingue les Heures, c’est la justesse de la pensée et l’élégance soutenue du style ; ce qui leur manque, c’est un souffle original et fécond. Il faut dire aussi que le trait poétique s’y laisse souvent désirer ; ainsi, dans les stances à la Jeune Fille au balcon, lorsque