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leur propre intérêt, seraient conduits à abolir l’esclavage. Maintenant il n’en sera plus ainsi : le nombre des états à esclaves dépassera celui des états libres, et si la race nègre, qui s’accroît déjà plus rapidement que les blancs au sud des États-Unis, conserve le même avantage au Mexique dans des conditions de climat encore plus favorables, les deux races seront peut-être un jour égales en forces, et laquelle triomphera dans la lutte ? Liberté dans les îles, esclavage sur les bords du golfe du Mexique, voilà la destinée la plus prochaine de la race noire. Finira-t-elle par n’avoir plus partout qu’une même condition ? la population des îles retombera-t-elle sous le joug ? celle du continent arrivera-t-elle à la liberté ? Nul ne le sait. L’Angleterre combat pour un principe, et l’Amérique pour l’autre ; et, n’osant commencer la querelle, elles en sont encore à s’observer. En attendant, l’île de Cuba est là comme la Sicile entre Carthage et Rome ; c’est là que s’établira la première lutte entre les deux principes. Une sourde fermentation y règne déjà, et se trahit de temps à autre par des complots. Les états à esclaves suivent d’un œil inquiet ce qui s’y passe, et nous pouvons citer à ce sujet des faits curieux et peu connus. Si les Anglo-Américains se montrèrent si soucieux de faire reconnaître par l’Espagne l’indépendance du Mexique, ce fut surtout dans la crainte de voir l’esprit de révolte gagner l’île de Cuba. Dans les instructions données en 1829 à M. Van Ness, ministre à Madrid, M. Van Buren lui recommande de demander la prompte reconnaissance de l’indépendance du Mexique ; en insistant sur le danger que courrait l’île de Cuba par suite de la prolongation de la guerre. « Bien des considérations, dit-il, qui tiennent à une certaine classe de notre population, font attacher, par la partie méridional de l’Union, la plus grande importance à ce qu’aucune tentative ne soit faite dans cette île pour secouer le joug de l’Espagne. Une tentative pareille aurait pour conséquence l’émancipation d’une nombreuse population d’esclaves dont l’affranchissement ne pourrait manquer d’avoir un grand retentissement sur les côtes voisines des États-Unis. » En novembre 1829, M. Van Buren apprit que le gouvernement mexicain, d’accord avec celui d’Haïti, avait formé un plan pour opérer une révolution dans l’île de Cuba ; il écrivit à M. Butler, l’envoyé à Mexico, pour lui exprimer l’horreur que lui inspirait cette idée d’émanciper des esclaves, et lui dire que le gouvernement croyait de son devoir de prendre des mesures pour protéger les États-Unis contre l’introduction de cet esprit déplorable (this baneful spirit). Il lui recommandait de faire les plus fortes remontrances possibles contre le projet, et, au cas où elles échoueraient, de l’avertir promptement, pour que le gouvernement