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belles théories sociales et leurs plans de régénération. A quatre heures, la moitié de Madrid était sur le chemin du théâtre de la Cruz, dont l’immense affiche rouge annonçait triomphalement la représentation d’une pièce chevaleresque, en quatre actes et en vers, Don Alfonso Munio, premier ouvrage dramatique d’une jeune fille que les journaux, l’Heraldo en tête, avaient déjà rendue célèbre. Les meilleurs rôles étaient confiés aux plus brillans sujets des deux troupes réunies de la Cruz et del Principe, parmi lesquels se distingue très particulièrement le chaleureux don Julian Roméa, beau-frère de M. Gonzalez-Bravo.

Les théâtres de Madrid ne sont point régis comme ceux de France et d’Angleterre ; les jours de première représentation, on ne voit pas, comme chez nous, aux abords de la Cruz ou del Principe, cette foule étrange, où se mêlent confusément toutes les conditions, tous les âges, essuyant la pluie et la bise, se préparant au plaisir par un vrai supplice. Dès le matin, les portes sont ouvertes à qui désire acheter son billet d’avance ; toutes les places, petites et grandes, sont numérotées soigneusement et disposées en stalles, chacun peut tranquillement retourner à ses affaires ; on est bien sûr, si tard que l’on rentre, de retrouver son fauteuil ou sa banquette complètement inoccupée. Le 13 juin pourtant, le public stationnait en foule devant la Cruz ; les groupes se composaient de curieux attardés qui n’avaient pu se ménager l’entrée dans la salle ; ni les uns ni les autres ne songeaient à regager leurs hôtels ou leurs mansardes ; la plupart étaient fermement résolus d’attendre que les heureux spectateurs se fussent prononcés sur le sort du drame nouveau. C’est là un des cas, peu nombreux à la vérité, où les bons Madrilègnes se rappellent, avec une certaine colère, l’occupation française. Si l’on excepte le Circo, où nos ballets se dansent et où l’on chante nos opéras, les théâtres de Madrid sont étroits, obscurs, incommodes ; tous les soirs, les salles sont combles, mais, comme les meilleures places se cotent à un prix extrêmement modique, il est hors d’exemple qu’une entreprise dramatique ait jamais prospéré. Sous l’ancienne monarchie, Madrid possédait un théâtre immense ; c’est là que, sous Philippe III, sous Philippe IV, se donnaient ces magnifiques représentations dont l’Espagne garde le souvenir comme d’une victoire sur les Maures ou d’une expédition dans les Flandres ; dès les premiers jours de l’invasion, ce théâtre fut réduit en cendres, et de toutes les calamités de la guerre, c’est peut-être celle que le peuple de Madrid a le plus vivement ressentie. Après 1823, vers la fin du règne de Ferdinand VII, on se mit en devoir de construire