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d’appel au peuple contre les chambres, d’être sorti des voies constitutionnelles, d’avoir agi sans loyauté et sans franchise. M. Guizot, dont l’embarras était visible, et dont l’éloquence avait déjà pâli deux fois devant le langage audacieux de M. Lherbette, n’a pas répondu à M. Dupin. Tout le ministère est resté muet. Son silence a été apprécié par la chambre. Cette fois encore, le ministère avait contre lui la majorité, qui, selon sa vieille habitude, s’est contentée de l’humilier.

Voilà, jusqu’à présent, tout le succès du manifeste au Palais-Bourbon. L’opinion du Luxembourg n’a pas mieux accueilli cet étrange oubli des règles parlementaires. Si le mécontentement de la chambre des pairs n’a pas éclaté à la tribune, il s’est produit ailleurs, dans des conversations pour ainsi dire publiques, et avec une vivacité singulière. M. Pasquier n’a pas ménagé ses termes, et le jugement exprimé par le grave chancelier serait de nature à blesser cruellement l’amour-propre du cabinet, si le cabinet avait de l’amour-propre. L’impression ressentie dans les chambres a été partagée dans le public ; elle est celle de tous les citoyens sensés qui se défient des expériences politiques, qui aiment le jeu naturel de nos institutions, qui trouvent qu’un gouvernement est bien fou de se créer lui-même des embarras, lorsque le cours ordinaire des choses amène sans cesse des difficultés nouvelles, qui pensent enfin que les premiers devoirs d’un cabinet sont d’exécuter fidèlement la constitution, de respecter les opinions de la majorité, de garantir de toute atteinte la personne du roi, et de pratiquer sincèrement la doctrine de la responsabilité ministérielle. Voilà l’effet que la publication du Moniteur a produit sur les esprits les plus modérés. Nous passons sous silence les plaisanteries sur certains passages peu littéraires de l’article officiel, et l’impression pénible qu’a causée l’humilité de certaines phrases. Sans parler de la mesure en elle-même, était-ce là un langage habile, convenable, digne de l’intérêt élevé que l’on voulait défendre ? Et le moment choisi pour la publication, quelle preuve de tact ! L’heureuse idée de jeter les dotations princières au milieu de l’affligeant débat des intérêts matériels et à travers les dégoûts soulevés contre les affaires d’argent ! Les dotations et la discussion des chemins de fer, quel rapprochement ! Sous tous les rapports, l’occasion était trop belle d’injurier le trône pour que les factions ne l’aient pas saisie aussitôt. Une presse ardente, la presse légitimiste surtout, a exploité le thème fourni par le Moniteur. Le roi est attaqué ; le ministère ne l’est plus. Un ou deux journaux ministériels qui veulent bien défendre la mesure le font froidement, comme des avocats chargés d’une mauvaise cause. Pourquoi aussi le Moniteur ne parle-t-il pas ? Il a promis d’éclairer le pays, de dissiper les erreurs, de combattre les calomnies, de faire triompher la vérité contre les préjugés entretenus par la malveillance des factions. La tribune est muette ; c’est au Moniteur de parler. Qu’il fasse donc ses affaires lui-même. Nous connaissons des gens, d’ailleurs fort exclusifs en matière de presse, qui, cette fois, accepteraient bien volontiers la concurrence du