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journal officiel. Si le Moniteur voulait enfin rompre le silence ; s’il sait tout à coup de devenir piquant, spirituel, éloquent, persuasif ; il leur éviterait de grands embarras.

Mille bruits ont circulé sur la rédaction et sur la publication du manifeste. Dans le premier moment, des familiers du ministère ont osé dire que le Moniteur avait commis un acte d’indiscipline, et qu’il en était résulté de graves explications dans le conseil, à la suite desquelles plusieurs portefeuilles, courageusement déposés, avaient été repris sous l’empire des sollicitations les plus pressantes, adressées aux sentimens les plus nobles. Cette fable n’ayant rencontré que l’incrédulité et le mépris chez les honnêtes gens, on a imaginé une autre version. On a dit que tous les ministres n’étaient pas coupables au même chef, que plusieurs avaient ignoré la mesure, que d’autres, l’ayant désapprouvée et mettant en balance leurs convictions et leur dévouement, avaient fini par imposer un douloureux silence à leurs convictions. Quant à la rédaction de la note, on ajoutait que tous les ministres y étaient étrangers. On l’avait reçue toute faite, ceux qui l’avaient connue l’avaient discutée respectueusement, sans y rien changer ; puis le Moniteur l’avait publiée. Cette seconde version a obtenu plus de succès que la première. Elle était d’accord avec l’idée que le public s’est faite, à tort ou à raison, de l’influence réelle de certains membres du cabinet. Elle donnait aussi à certains ministres que nous n’avons pas besoin de nommer, et qui sont connus pour ne pas aimer les affaires douteuses, le moyen de se créer dans la circonstance une situation à part. Il faut dire à l’honneur de la fraction militaire du cabinet qu’elle n’a pas accepté un seul instant la solidarité de ces trahisons réciproques, au milieu desquelles un intérêt supérieur à tous les autres était scandaleusement sacrifié. Dès que le maréchal Soult a connu ces commentaires, il les a désavoués avec la franchise un peu rude qu’on lui connaît. L’amiral Mackau a fait la même chose un peu plus poliment. On a su alors que la mesure de la dotation avait été discutée en conseil depuis trois mois, et que l’article du Moniteur avait été entièrement rédigé par M. Guizot. M. Villemain, dit-on, par amour des formes littéraires, aurait bien voulu introduire, dans la rédaction quelques changemens utiles ; mais ses observations, pleines de goût et de justesse, n’ont pas été accueillies. Le style genevois a écarté le style académique.

La responsabilité ministérielle, malgré tous les efforts que l’on a faits pour l’atténuer, est donc pleinement engagée dans tout ceci. Le ministère répondra des suites du conflit qu’il soulève d’une manière si périlleuse et si peu constitutionnelle. Il a lancé au milieu des passions de la multitude le nom du roi, l’inviolabilité, de la couronne, l’honneur d’une dynastie, les principes tutélaires de notre constitution ; ces grands intérêts, dont la garde est confiée à sa loyauté comme à sa prudence, il les livre à la controverse orageuse des journaux ; il les retire du débat régulier des pouvoirs publics pour les précipiter dans l’arène des partis. Si la discussion, ainsi transformée en une