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importe-t-il le plus d’inculquer aux hommes pour leur bonheur ? Il mérita le prix, et Napoléon Bonaparte, autre concurrent, et grand philanthrope comme on sait, aurait eu vraisemblablement l’accessit ; mais les évènemens de 93 empêchèrent cette distribution publique et se chargèrent en même temps de répondre à la question de l’honnête académie en signes manifestes et foudroyans.

Entré à la Convention, M. Daunou inaugura dès les premiers jours sa vie publique par le plus bel acte qui l’honore, par son opinion et son vote dans le procès de Louis XVI. Les trois écrits ou discours consécutifs où il a consigné son avis attestent un sens judiciaire très remarquable, une méthode excellente et rigoureuse qui, pour le coup, ne saurait, en pareil cas, déployer trop de précautions, trop de scrupules. Il distingue très bien entre la conviction morale et historique qu’on peut avoir contre Louis XVI et la conviction judiciaire qu’on n’a pas établie ni acquise. On le voit suivre pied à pied la marche du procès, et à chaque moment il sait découvrir, il ose proposer le procédé le plus sage, le moins inique, le moins sujet aux conséquences subversives et déshonorantes pour la naissante morale républicaine. Ce coup d’œil historique rapide, cette prévision soudaine et lointaine que nous n’apercevons pas chez Daunou à d’autres instans de sa vie publique, le sentiment d’équité et d’humanité les lui communique ici et les lui suggère : il comprend aussitôt que de ce premier pas que va faire la Convention dépend tout son avenir et celui de la république qu’elle enfante. La république en France ne sera-t-elle qu’une arme révolutionnaire, ou sera-t-elle une forme possible et durable ? Cette question, selon Daunou, se pose déjà dans ce premier vote solennel. Saint-Just, en opinant pour que Louis XVI fût jugé par la Convention, avait ajouté qu’après tout c’était là beaucoup moins un jugement qu’on demandait qu’une vengeance, un combat, une expédition : « Citoyens, répondait Daunou, la question entre Saint-Just et moi se réduit précisément à savoir s’il faut juger Louis XVI, ou l’immoler comme César et d’autres tyrans. Je n’opposerai peut-être à l’énergique opinion de Saint-Just que des considérations timides, plutôt dictées par des habitudes et par des craintes que par l’austérité de la philosophie républicaine qu’il a seule interrogée. Je dirai cependant que César régnait quand des sénateurs l’immolèrent ; qu’il ne suffit pas toujours qu’une vengeance ait été méritée par la victime ; que nous sommes accoutumés encore à vouloir qu’elle soit généreuse ; que ce genre d’expédition se revêt essentiellement d’un caractère révolutionnaire, trop étranger aux circonstances dont nous