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rien reculé les anciennes limites, il a mieux que personne, creusé le champ et mis en valeur, sur ce terrain étroit, les moindres parcelles. On peut citer, comme échantillons les plus complets, ses articles sur la République de Cicéron traduite par M. Villemain, sur les Essais d’Histoire de France par M. Guizot[1], et sur les Poètes latins de la Décadence de M. Nisard[2].

On est tenté de s’étonner d’ailleurs, en parcourant la liste considérable des articles signés de lui, qu’il ne s’en rencontre pas un plus grand nombre dont les titres nous invitent et appellent l’attention. Le critique, cela est évident, ne se refusait pas assez à s’exercer sur des sujets secondaires et quelque peu sombres, ou même tout-à-fait ingrats. Comme il évitait volontiers de se mesurer en face avec les plus célèbres ouvrages modernes contre lesquels il était purement négatif, il rabattait trop souvent sa vigilante, son incorruptible critique sur des livres à étiquette sérieuses déposés à son tribunal, et dont quelques-uns n’auraient pas mérité tant d’honneur. Au risque de le trouver rigoureux, nous l’aurions voulu voir plus fréquemment aux prises avec les doctrines dont il se méfiait, comme, par exemple, dans son examen des Lettres sur l’Histoire de France, de M. Augustin Thierry[3].

Les petites notes non signées, rejetées à la fin du journal, ont droit à une mention ; elles contiennent, sous leur enveloppe purement bibliographique, bien de piquantes malices résultant du seul fait de citations bien prises. Le grave éditeur semble par instans s’y égayer ; c’est comme son dessert.

Dans les nombreux travaux par lesquels il a contribué à l’Histoire littéraire, M. Daunou n’a guère fait que porter sa même manière, en l’appliquant à des morts, et sans paraître se croire autorisé à moins de réserve habituelle. Il extrait, il analyse les œuvres, il discute les points de fait : je ne dirai pas qu’il s’efface, car son jugement se marque implicitement dans le choix et la teneur de ses extraits mêmes ; mais ne

  1. Journal des Savans, mars et décembre 1823.
  2. Ib. janvier 1835.
  3. Journal des Savans, décembre 1827. — M. Augustin Thierry avait autrefois, dans le Censeur européen, parlé de l’enseignement de M. Daunou en des termes pleins de sympathie et d’élévation : on peut lire l’article reproduit dans les Dix Ans d’Etudes historiques. Cela n’empêcha point M. Daunou d’être sans complaisance pour le jeune et si original historien, qu’il loue sans doute et dont il constate le succès, mais qu’il ne classe point à son rang. Je ne blâme pas, je remarque. De la part d’un esprit sérieusement convaincu et qui croyait fermement à de certaines vérités, cela est mieux. Et puis toutes les mesures étaient gardées. Le procédé de M. Daunou pouvait souvent sembler strict, il n’allait jamais jusqu’à être dur.