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lui demandez aucune de ces vues qui semblent lumineuses au premier aspect, qui bien souvent ne sont que hasardeuses, par lesquelles toutefois un petit nombre de critiques supérieurs ont éclairé à cette distance des horizons jusque-là obscurs. Je ne voudrais pas faire tressaillir ses mânes en citant les Schlegel ou tel autre nom d’outre-Rhin ; pour preuve que la méthode analytique, appliquée à la littérature des âges passés et maniée par de bons esprits, ne donne pas nécessairement certains résultats invariables, et qu’elle est encore ce que chaque esprit la fait, je n’opposerai à M. Daunou qu’un autre écrivain, bien connu de nous, et que la mort vient de réunir à lui avant l’heure. M. Fauriel, à qui on ne refusera pas d’être sorti également de l’école du XVIIIe siècle et du cœur même de la soc[été d’Auteuil, esprit exact et scrupuleux, s’il en fut, ne croyant aussi qu’à ce qu’il avait recherché et constaté, mais ayant en lui un goût vif de curiosité et d’investigation, l’étincelle de la nouveauté en tout, M. Fauriel arrivait, dans l’histoire littéraire des âges précédens, à des résultats, à des aperçus d’ensemble qui n’étaient point ceux de M. Daunou. En ne demandant pas à celui-ci autre chose pourtant que ce qu’il fit et voulut faire, on a de quoi se dédommager dans le soin accompli qu’il y apporta et dans la précision élégante de l’exécution. On a beaucoup cité son Discours sur l’état des lettres en France au treizième siècle, qui est, en effet, le plus beau frontispice qui se puisse mettre à l’un des corps d’une histoire monumentale, non originale ; ce discours forme, à lui seul, tout un ouvrage. La notice sur saint Bernard, plus courte d’un peu plus de moitié, est aussi célèbre. Cette biographie et ce jugement du saint peuvent se dire le chef-d’œuvre de l’impartialité, venant d’un sectateur du XVIIIe siècle ; on ne saurait demander plus. On y admire, à la réflexion, la rare puissance qu’il a fallu pour rassembler, pour coordonner et maintenir tant de faits et de rapports divers si prudemment et si nettement exprimés, sans que la plume ou le compas (je ne sais comment dire) ait dévié ni fléchi un seul instant durant tout ce long travail. M. Daunou aime à envisager ses sujets et ses personnages sous un angle peu ouvert, et, une fois la mesure prise, il ne varie plus d’une ligne dans tout le relevé : cela devient quelquefois merveilleux de dextérité, de patience et de sûreté de main. Nul autant que lui n’a su la propriété des termes, n’a possédé les ressources et les nuances de la synonymie. On devine assez l’espèce de limites qu’il s’impose, lorsqu’il s’agit de moyen-âge. M. Victor Le Clerc, en le célébrant dignement pour cet ordre de travaux, a cru pourtant devoir remarquer ce que l’habile devancier omet systématiquement, se refuse tout-à-fait