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à raconter et à reproduire dans ses résumés, d’ailleurs si exemplaires, qui laissent seulement à désirer pour la couleur et pour l’esprit des temps.

J’arrive au Cours d’Études historiques, la plus complète, la plus grandiose composition et le vrai monument de M. Daunou. On ne saurait assez se féliciter que le zèle de l’exécuteur testamentaire, M. Taillandier, ait procuré une publication que l’auteur (on ne voit pas bien pourquoi) s’était interdite, qu’il avait même, à un certain moment, interrompue avec alarmes, et qui, en tardant encore, pouvait devenir difficile ou impossible. Remercions hautement aussi MM. Didot d’avoir consenti, en ce temps de spéculations hâtives, à rendre ce service aux lettres sérieuses. L’apparence de ce cours est des plus sérieuses en effet, mais on est bien payé de sa peine si l’on y pénètre. Fidèle à sa méthode, l’auteur y adopte trois grandes divisions : 1° l’examen et le choix des faits, premier travail préalablement nécessaire à l’historien, et qui comprend la question de la certitude et des sources, celle des usages et du but de l’histoire ; 2° la classification des faits, quant aux lieux, quant aux temps, c’est-à-dire géographie et chronologie ; 3° l’exposition des faits, ce qui aboutit à l’histoire proprement dite, telle qu’elle se dessine aux lecteurs ; les deux autres branches sont plutôt un travail de cabinet pour l’historien. Ces deux premières parties sont publiées, et le VIIe volume, le dernier, paru (qui traite de la manière d’écrire l’histoire), forme l’introduction de la troisième. Les résumés patiens, les discussions épineuses auxquelles l’auteur n’a pas craint de se livrer, surtout dans les questions de chronologie, sont plus souvent éclairées, ou même égayées, qu’on ne pourrait croire, par les agréables ressources de son esprit et les occasions littéraires qu’il a comme saisies au passage. Lorsqu’il arrive à ce qu’il appelle la chronologie positive, M. Daunou ne fait guère qu’en tirer prétexte pour retracer en douze leçons un tableau succinct de l’histoire universelle, dès avant Homère, jusqu’à la mort de Voltaire. D’admirables et vigoureuses touches de pinceau et surtout de burin, des traits charmans, des médaillons, bien frappés, ornent en mainte page ce narré complexe et précis. Les grands hommes, je le sais bien, sont trop souvent sacrifiés : Alexandre est méconnu, outragé ; Mahomet n’encourt que l’anathème ; M. Daunou, qui a trop vu Napoléon, ne les aime pas. Héros, aventurier ou brigand, c’est tout un pour lui ; il est inexorable et sourd à cet endroit des despotes et conquérans[1].

  1. Voir sur Alexandre, t. VI, p. 57 ; sur Mahomet, même volume, p. 160, et encore t. III, p. 505. Mahomet est flétri au-delà de toute mesure : il cumulait en lui le conquérant et le prophète. L’auteur lui refuse, ainsi qu’à son Coran, toute espèce d’influence civilisatrice sur les destinées de l’Orient ; il aurait pu interroger avec fruit là-dessus Bonaparte et ceux qui avaient vu l’Égypte. Qu’y faire ? Mahomet, en son hégire, était très peu de L’an III assurément.