Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/422

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne peut être sûrement résolue que par des hommes placés à ce point de vue supérieur d’où l’on découvre la résultante de tous les courans d’intérêts qui s’entrechoquent dans une société, d’où l’on peut établir, sur les complexités du présent que l’on embrasse tout entier ; cette règle de proportion si difficile, si délicate, que les gouvernemens ont la mission de résoudre chaque jour entre le passé et l’avenir. Si une tâche semblable doit surtout être confiée au coup d’œil, à la prudence, à l’habileté pratique d’un seul homme, parmi les hommes politiques de l’Angleterre et du parti conservateur, qui est plus digne de la remplir que sir Robert Peel ? Qui possède à un degré plus élevé, plus complet, les qualités de tacticien consommé et l’intelligence éprouvée des intérêts pratiques de l’Angleterre ? Jusqu’à ce que M. d’Israeli et les mécontens aient signalé un autre nom, il faudra bien qu’ils permettent à leur parti de dire avec lord Monmouth : Peel is the only man.

Pour juger ainsi le rôle naturel d’un gouvernement conservateur en Angleterre, nous ne croyons pas condamner à l’oisiveté les intelligences jeunes, actives, généreuses du parti tory. Convaincus de la nécessité de la politique sagement progressive de sir Robert Peel, nous croyons qu’une mission grande et haute s’offre aux hommes d’avenir du torysme, à la jeune Angleterre elle-même. La jeune Angleterre ne saurait songer sans folie à renverser le ministère actuel, mais elle peut travailler avec honneur à agrandir les idées de son parti et à en élever les tendances générales. La jeune Angleterre n’a et ne peut guère avoir encore que des intentions : des intentions ne suffisent pas pour mener le gouvernement d’un pays ; mais lorsqu’elles sont nobles, lorsqu’elles joignent pour auxiliaires aux qualités du cœur les facultés cultivées de l’esprit, elles peuvent acquérir, en se développant, une puissante influence sur la vie morale d’une société. Il semble aujourd’hui que le progrès, l’activité, l’ardeur ascendante, soient du côté du torysme. Depuis le bill de réforme, les whigs, dont la faiblesse politique a si souvent trompé le bon vouloir, ont vu leurs rangs s’éclaircir chaque jour ; le radicalisme utilitaire et philosophique a perdu son influence sur les masses ; la sécheresse de ses doctrines économiques, plus favorables aux intérêts des chefs d’industrie qu’au bien-être immédiat des classes pauvres, lui enlève toute chance de popularité sérieuse. Or, tandis que l’initiative semble échapper au parti industriel et réformateur, deux mouvemens, un mouvement philanthropique et un mouvement religieux grandissent au sein du torysme. Par l’un, à la tête duquel s’est placé lord Ashley, une fraction nombreuse du parti tory cherche à prendre le patronage des classes pauvres, à contrôler dans un intérêt d’humanité