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pouvait agrandir et assurer ensemble la pensée du philosophe et celle du citoyen.

On voit comment cette méthode devait conduire M. Jouffroy en métaphysique à un spiritualisme, en politique à un libéralisme, qui ni l’un ni l’autre n’étaient exclusifs. Si l’on veut appeler cette doctrine du nom prodigué d’éclectisme, entendons par ce mot la restitution dans la science de tous les faits oubliés, de tous les principes omis, et concevons que dans un tel travail l’esprit s’étende et l’ame se modère sans que la fermeté des convictions et le dévouement à la vérité s’affaiblissent.

C’est au lecteur à décider si la doctrine, dont nous venons de retracer brièvement les procédés et les résultats, n’a point peu à peu, et sous des formes diverses, pénétré dans les esprits, modifié les opinions, influé sur les évènemens, et contribué même à déterminer le caractère de la révolution de 1830. Assurément ceux qui ont, comme M. Jouffroy, concouru avec éclat à la constituer et à la propager, n’ont point confiné leur action dans l’intérieur des écoles. Les traces de leur passage se voient partout sur le sol où nous marchons.

Le jour vint où cette philosophie sortit de l’ombre des classes. A partir de 1820, l’opposition libérale se rajeunit et se fortifia. Des hommes nouveaux, venant la joindre, lui composèrent cette réserve d’ardentes recrues qui devait faire plus tard la force de l’armée du gouvernement de 1830. C’est l’époque où l’intérêt de nos communes idées, je devrais dire de notre commune cause, me rapprocha de M. Jouffroy. L’histoire de la formation des divers groupes d’écrivains qui renouvelèrent alors la presse militante serait intéressante à raconter une réserve que l’on comprendra ne me permet que de l’esquisser.

La restauration a eu du malheur ; elle succédait à un gouvernement qui avait abusé de la guerre et du pouvoir : elle apportait la paix et la liberté, excellentes conditions pour se faire bien venir d’un pays et demeurer populaire ; mais elle sacrifia ce double avantage au désir insensé de faire de son avènement le triomphe d’un parti. Elle tenait à honneur de punir la France en la contrariant ; elle gâta la paix en froissant le patriotisme, et la liberté en la donnant à regret. Ainsi, de gaieté de cœur, elle jeta les deux plus beaux joyaux de sa couronne au flot des révolutions.

Elle avait l’air de se chercher des ennemis. Elle en avait de tout faits dans les partisans obstinés des gouvernemens déchus ; mais ceux-