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là, elle pouvait les gagner en ne les outrageant pas, une bonne conduite les devait ramener. Elle y eût échoué, que le temps seul, en éclaircissant leurs rangs, aurait rendu leur hostilité moins redoutable. D’ailleurs les mécontentemens partiels ne prévalent jamais contre les intérêts généraux et permanens, quand ceux-ci sont satisfaits. La restauration n’a pas voulu, et sa chute a pu se prédire dès qu’on a vu ses ennemis de fondation grossis ou remplacés par les générations même élevées à son ombre. Dans toutes les classes, dans toutes les professions, de nouveaux adversaires se rencontrèrent en foule, nulle part plus nombreux et plus formidables que parmi les hommes voués à ce qu’on pourrait appeler le métier de l’intelligence. Après les tentatives plus ou moins malheureuses du carbonarisme, la scène s’ouvrit surtout à ceux qui, sans antécédens obligatoires, sans engagemens de situation, se jetèrent par choix dans les hasards d’une guerre raisonnée contre le pouvoir. La presse devint leur instrument presque unique ; la légalité, leur arme et leur abri. Nous tous, qui avons milité dans ces guerres, ne l’oublions jamais, la presse, quoi que nous soyons, la presse nous a faits ce que nous sommes.

Bien que le drapeau fût le même, il y avait plusieurs pelotons dans l’armée. Quelques-uns de nous, d’abord obscurs, inconnus, venus de loin, devaient tout à eux-mêmes. Aucune tradition de famille, aucune situation notoire ne les avait prédestinés à l’opposition active, ils en étaient, parce qu’ils l’avaient voulu, et puisant leur mission dans leur instinct, leur puissance dans leur nature, le temps en avait fait des écrivains politiques. Élevés loin de Paris, ils s’étaient rapidement acclimatés dans ce monde nouveau, en conservant quelque chose de l’énergie d’une éducation rude, sans mollesse et sans distraction. Ils avaient respiré leurs opinions avec l’air vital, et, profondément imbus des sentimens de la France, ils étaient capables de les juger en les éprouvant, et par là-même de les mieux servir et de les régler. C’étaient, par leurs passions, les représentans naturels de cette démocratie impétueuse qui s’était tant égarée, mais par la droiture de leur intelligence ils pouvaient en devenir les modérateurs et presque les maîtres. Contenir l’opinion libérale en la propageant, l’éclairer en la flattant, acquérir à force de sympathie avec le pays le droit de résister à ses emportemens, de redresser ses erreurs par le courage de la vérité, telle était leur puissance et leur but. Esprits étendus, mais positifs, ardens, mais pratiques, suppléant à l’imagination inventive par l’élévation des facultés usuelles à leur plus haute puissance, la politique et l’histoire étaient, de toutes les choses intellectuelles, celles