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Il se trouva, du reste, que les whigs, en faisant une œuvre d’opposition, firent presque une œuvre de patriotisme, car l’usage universel de la poudre, dans ces temps de guerre, menaçait de réduire l’Angleterre à la disette. Les Anglais, qui, entre autres manies, ont au suprême degré celle de la statistique, ont calculé ce que, dans l’armée seulement, il se consommait de farine pour l’entretien de la tête. Les forces militaires du royaume se montaient alors à 250,000 hommes, dont chacun usait une livre de farine par semaine, ce qui faisait par an la somme de 6,500 tonnes : pesant, c’est-à-dire une, quantité suffisante pour faire 3 millions 59,353 pains de quatre livres, ou la nourriture de 50,000 hommes. La disette devint telle en l’année 1800, que dans la maison du roi l’emploi de la farine pour la pâtisserie fut défendu et remplacé par le riz, et que les pâtissiers firent faire des murailles de bois pour servir de croûtes. Si l’anti-corn law League et M. Cobden avaient existé à cette époque sans doute nous aurions vu ces singuliers calculs occuper une grande place dans la question des céréales.

Il semblerait donc que Brummell quitta l’armée parce qu’il n’aimait pas la poudre, de toute façon. Une dernière catastrophe le détermina. Son régiment fut envoyé à Manchester, la métropole du commerce, la patrie du coton. « Votre altesse dit-il au prince de Galles, sent combien ce serait désagréable pour moi. Songez donc un peu ; Manchester ! » Brummell donna donc sa démission. Un an après, il devint majeur et entra en possession de sa fortune, qui, s’étant accumulée pendant sa minorité, se montait alors à 30,000 livres, ou 750,000 fr. C’était peut-être assez pour vivre à Calais, presque à Paris ; ce n’était rien pour vivre à Londres dans la compagnie de la plus riche aristocratie du monde et dans la familiarité d’un prince qui dépensa 2,500,000 fr. pour sa garde-robe. Brummell administra d’abord son petit patrimoine, son auream mediocritatem avec une certaine prudence. Il ne fit point de folies, car, comme tous les hommes sincèrement corrompus, il apportait beaucoup d’ordre et de régularité dans ses passions, si toutefois des goûts de cette espèce peuvent être honorés du noble nom de passions. Si plus tard il se ruina, ce fut au jeu. Il prit une petite maison dans le West-End, deux chevaux et un cuisinier, et reçut raisonnablement ses amis. En peu de temps, il devint l’arbitre de la mode, le patron des tailleurs et des dandies, de ceux qui faisaient les habits et de ceux qui les portaient. Sa principale ambition fut d’être l’homme le mieux mis de Londres, et sous ce rapport il montra toujours beaucoup de goût et apporta infiniment d’esprit dans sa toilette. Comme tous les hommes d’une véritable élégance,