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il évitait toute excentricité et ne se distinguait que par un soin extrême. Le matin, des bottes et des pantalons, une redingote et un gilet de couleur claire ; le soir, un habit bleu, un gilet blanc, des pantalons noirs boutonnés très serrés sur la cheville, des bas de soie et le claque. Quant à la cravate ; oh ! la cravate, c’était l’article important de Brummell, son exegi monumentum. Il y avait ; disait-on à cette époque, trois hommes dans le monde : Napoléon, Byron et Brummell. Il serait injuste de nier que les deux premiers n’aient exercé une certaine influence sur leurs contemporains, mais aucun d’eux n’accomplit dans l’ordre politique ou littéraire une révolution aussi radicale que celle que Brummell effectua dans le domaine de la cravate. Lors de son avènement, on portait encore la cravate tout simplement roulée autour du cou, avec un nœud d’une insouciance scandaleuse. Enfin Malherbe vint, et le premier à Londres, George Brummell introduisit l’empois dans les cravates. Nous n’entreprendrons point de décider si la postérité lui doit beaucoup de reconnaissance pour cette innovation ; des goûts et des couleurs il ne faut disputer. C’est avec le même sentiment de réserve que nous nous contenterons de traduire, d’après son biographe, la manière dont ce grand homme procédait à la cérémonie solennelle de la mise de sa cravate. Nous regretterions de priver tous ceux qui s’adonnent à cet exercice de la connaissance d’un seul des élémens de cet important système. « Brummell, dit le capitaine Jesse, ne mettait point sa cravate à l’épreuve en essayant s’il pouvait en soulever les trois-quarts en la tenant par un coin sans la faire plier ; mais quand le nœud n’était pas fait convenablement du premier coup, il la jetait immédiatement La méthode à l’aide de laquelle il atteignait cet important résultat m’a été communiquée par un de ses amis, qui avait souvent été témoin oculaire de cette amusante opération. Le col, qui était fixé à la chemise était si grand, qu’avant qu’il fût replié, il cachait complètement sa tête et sa figure ; et la cravate blanche avait au moins un pied de haut. Le premier coup d’archet était donné au col de chemise, que Brummell repliait à la mesure convenable ; puis alors, debout devant la glace, et le menton élevé le plus haut possible, par la pression douce et graduelle de la mâchoire inférieure, il rabaissait la cravate à des dimensions raisonnables, la forme de chaque pli successif étant donnée par la chemise qu’il venait de rabattre. »

Tout le monde sait l’histoire, apocryphe ou non, de ce marquis émigré qui fit sa fortune à Londres en accommodant la salade. Brummell aurait pu faire la sienne en donnant des leçons dans l’art de mettre sa cravate. Il posait chez lui pour ses illustres amis, et souvent, dit-on,