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de la France dans une meilleure voie. Il serait du devoir de M. Guizot de retirer des mains de l’Angleterre une arme qu’elle a reçue de lui, et dont elle pourrait se servir plus tard contre ses successeurs.

Tous les regards sont fixés en ce moment sur l’empire du Maroc. Les escadres de la France, de l’Angleterre, de la Hollande, de la Suède, du Danemark, sont en présence devant Tanger. Le prince de Joinville est arrivé d’abord à Gibraltar ; il s’est rendu ensuite à Tanger, puis à Algésiras, puis à Cadix, où il attend les instructions du gouvernement. Toutes les nouvelles s’accordent à dire que le prince, sur ce théâtre où sa bravoure et son patriotisme doivent être puissamment excités, a su déjà montrer autant de fermeté que de prudence. Sur la nouvelle qu’un vaisseau de l’escadre anglaise était entré dans le port de Tanger, le prince amiral, sortant de Cadix, a aussitôt réclamé ; l’escadre anglaise a donné des explications satisfaisantes, et il a été déclaré que ce fait ne se représenterait plus.

Les bruits les plus contradictoires circulent au sujet des négociations. On avait d’abord annoncé que sir Robert Wilson, revenu du Maroc, assurait que la médiation anglaise terminerait tout ; mais il y a déjà plus de trois semaines que le consul-général M. Hay, négocie près de l’empereur de Maroc, qui n’a pas encore répondu à l’ultimatum de la France. Pendant que l’on négocie, les évènemens marchent avec une rapidité menaçante sur le théâtre des hostilités. Le 10 juillet, le maréchal Bugeaud se trouvait en avant d’Ouchda. Le 16, provoqué par une nouvelle attaque des Marocains, il les poursuivait jusqu’à trois journées dans l’intérieur des terres. Enfin les dernières nouvelles annoncent que le maréchal s’avance à plus de quatre-vingts kilomètres de la frontière, sur le territoire ennemi ; les troupes marocaines fuient à son approche. Abd-el-Kader a failli tomber dans ses mains.

D’un autre côté, la plus grande effervescence, règne dans le Maroc. Les défaites essuyées contre les Français dans les escarmouches qui ont eu lieu sur la frontière sont célébrées comme des victoires par une population fanatique, sur laquelle l’empereur n’exerce aucune influence. Les tribus prennent les armes. À Tanger, la populace a forcé les magasins et les arsenaux du gouvernement. Hamida, l’ancien kaïd, ami dévoué d’Abd-el-Kader, commande à Ouchda. Le fils aîné de l’empereur, Sidi-Mohammed, arrive sur la frontière à la tête de forces considérables. Vient-il apporter la paix ? Comment le pourrait-il en présence des tribus qui méconnaissent l’autorité de l’empereur, et n’attendent qu’une occasion pour proclamer Abd-el-Kader ? Toutes ces circonstances réunies jettent le ministère dans une assez vive perplexité. On commence à voir que l’on a fait une faute en ne prenant pas dès le début une résolution énergique. Les difficultés ont grandi. On a trop compté sur les négociations. M. Guizot, dit-on, en convient facilement avec ses amis, et il leur communique ses plans. Il s’agit pour lui d’une crise dans sa carrière politique, et il cherche à en sortir avec honneur. Tout son système était fondé sur la paix ; le voilà lancé dans la guerre. Il paraît accepter cette situation nouvelle ; mais l’embarras est de trouver un plan efficace