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original, et Carlyle, qui n’avait pas dépensé sa jeunesse en pages futiles, n’eut qu’à faire jaillir de sa veine les pensées, les images qui s’y étaient accumulées pendant les solitaires méditations dont il a tracé le tableau. C’était un étrange style et bien incorrect. Le trop plein de ses idées et de ses souffrances se déversa ainsi d’une série d’articles où la pensée philosophique se cache sous une forme hétéroclite, allemande et anglaise ; — c’est tantôt Sterne, tantôt Jean-Paul, quelquefois Goethe ; — la chimie, l’astronomie, l’algèbre, jetées pêle-mêle et confondues. Je ne pourrais mieux le comparer qu’au style de Mirabeau père, l’ami des hommes, que Carlyle lui-même a si bien caractérisé : « Un style riche et richement extravagant, dit-il, plein de nouveauté, de vigueur, de soleil et d’ombre, — étincelant sous sa cuirasse de métaphores et sous les triples écailles de ses images extraordinaires, disloqué, tortueux, mystérieux, — des vapeurs molles sur des angles de montagnes, et des rayons de soleil dans des trous profonds, avec une veine de satire cachée que le XVIIIe siècle ne comprenait pas. La pâture était trop forte pour ces jeunes et aimables enfans. »

Carlyle fit paraître en 1837, et toujours dans le même style, French Revolution, a history ; en 1839, ses Essais, et une brochure intitulée Chartism ; en 1841, ses leçons sur le Culte des Héros, et, tout récemment le Présent et le Passé. C’est dans l’Histoire de la Révolution que brille le plein soleil de son talent et de sa vigueur ; mais c’est à ses autres ouvrages, un peu affadis et amollis quant à la forme, qu’il faut demander le développement de ses doctrines et leur application au temps actuel et à revenir. Le Chartisme offre l’analyse pittoresque des maladies sociales que l’accroissement démesuré de l’industrie et du commerce entraîne après lui. Il étudie cet anévrisme commercial comme un médecin qui reconnaît que la force de la vie s’est accumulée sur un seul point d’une façon dangereuse, La vapeur lumineuse de son style agrandit les objets par une sorte de mirage fantastique, mais ne les dissimule ni ne les voile. Ses admirateurs devenaient nombreux et, sous l’éloquence ardente de ses livres, on crut deviner l’orateur on se trompait. L’intensité et la nouveauté, les deux qualités principales de sa pensée et de sa forme, deviennent des défauts quand il s’agit d’émouvoir les masses par l’électricité de la parole. Ses leçons publiques sur le Culte des Héros (Hero-Worship) eurent peu de succès, et l’on n’en reconnut la valeur que lorsqu’elles furent imprimées. C’est encore un singulier ouvrage, mais dont la pensée première est profonde. Le philosophe y étudie, l’une après l’autre, toutes les espèces d’hommes qui ont dirigé l’humanité, comme poètes, législateurs,