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rois, guerriers fondateurs de religions, et il prouve que malgré les nuances des temps, des conditions et des lieux, leur force essentiellement la même, consiste dans une sympathie innée avec leur époque et l’humanité Dans cet ouvrage comme dans les précédens, l’esprit pratique de l’Anglo-Écossais contracte alliance avec l’idéalisme allemand. Le style en est moins pénible, mais il est aussi moins coloré et plus lâche que celui du Chartisme, inférieur lui-même aux Essais, qui ont paru après l’Histoire de la Révolution française, et qui sont loin de la valoir.

Past and Present, le dernier ouvrage de Carlyle, complète le développement de ses doctrines politiques. La conquête féodale, désordonnée, sanglante, inhumaine, et s’organisant peu à peu d’elle-même, sous la lumière et la chaleur de la sympathie et de la charité chrétiennes, telle est la première partie du livre de Carlyle c’est le passé. La nouvelle conquête industrielle, commerciale, démocratique, à peine achevée aujourd’hui, entraînant mille dangers, affaiblissant l’intelligence, détruisant les arts, livrant à la matière un règne souverain et passager, puis s’organisant d’elle-même avec lenteur et difficulté, mais certitude et grandeur, telle est la seconde partie : c’est le présent. Peut-être tout cela est-il un peu rapide et ébauché, et l’on voudrait qu’un esprit aussi remarquable ne se laissat pas emporter à l’allure violente du pamphlet. On peut lui reprocher encore des couleurs criardes, une mise en scène qui cherche le drame, un défaut de sobriété et de simplicité, ces défauts ont accru sa popularité et lui ont fait un public. Les têtes de cette capacité sont rares, et il est difficile de se montrer à la fois moins dogmatique et plus fécond en idées nouvelles que Carlyle.

La première partie de son œuvre est occupée par un tableau du moyen-âge. Pour présenter, dans sa vérité, l’ère féodale et la vie intime des couvens au XIIe siècle, il s’est servi d’une publication archéologique fort curieuse, que la société Camden vient d’éditer[1]. Ce document, retrouvé dans les parchemins du Musée britannique, est l’œuvre d’un moine contemporain du roi Jean, qui se nommait Jokelyn de Brakelond, et qui l’a écrit en latin. Au lieu de s’en tenir au maigres détails dont la plupart des chroniqueurs se contentent, Jokelyn a tout observé, et tout redit, ses jugemens sur l’abbé ses petites querelles personnelles, ses opinions sur la science et la politique du temps ; il a été aussi minutieux qu’intéressant : de cet égoïsme heureux est résulté le tableau du monastère de Saint-Edmondsbury, de son économie

  1. Jokelyn of Brakelond, a mernoir, translated by, T. E. Tomlins, etc.