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domestique, de ses revenus, de ses révolutions intérieures et de ses habitans. Le livre est utile, unique, charmant. Le bien et le mal y sont dits avec ingénuité ; Jokelyn, aussi bavard que Pepys ou le marquis de Dangeau, avec plus de bon sens, a sur eux l’avantage de nous entretenir d’une époque et de choses inconnues ; il s’ennuie, se console la plume à la main, et nous fait passer en revue les moines, les paysans, le bon abbé Sampson, Hugues l’abbé paresseux, les seigneurs et leurs femmes ; on aperçoit des abus, mais on est ému des grandes actions naïves qui compensaient les torts de cette merveilleuse époque. On vit de la vie du couvent au XIIe siècle. Cet abbé Sampson, qui ne dirigeait qu’une communauté, eût été un grand monarque ; on admire son énergie réformatrice, son économie sans mesquinerie, son goût pour les arts ; il faut le voir siéger comme juge dans sa grande salle, écouter les plaideurs et rendre des sentences pleines d’équité. Ce roitelet ecclésiastique qui se fait obéir, aimer, servir, qui civilise la barbarie et donne la vie et l’ordre à une province ; curieux portrait qui ne se trouve que dans le Mémoire de Jolcelyn, prouve bien ce que nous avions soupçonné, que l’organisation politique et administrative du moyen-âge émanait en grande partie du clergé.

Carlyle a employé les détails de ce vieux tableau de famille pour montrer comment les plus mauvaises époques se rachètent et comment se corrigent d’eux-mêmes, par la seule force de vitalité qui réside au fond des sociétés humaines, les plus effroyables abus. Ainsi, le principe de charité et d’ordre, représenté par le bon abbé Sampson finit par triompher de l’élément de désordre et d’oppression, qui avait pour représentant son prédécesseur, l’abbé Hugues. Cette évolution graduelle de l’anarchie à l’harmonie est la véritable clé de l’ouvrage auquel elle prête un intérêt puissant, et il n’y a pas de détail, tel minutieux qu’il soit, que l’on ne suive dans cette chronique avec une attention soutenue. « Par exemple, dit le chroniqueur Jokelyn, grand admirateur de Sampson, son prédécesseur Hugues l’avait fait emprisonner ; Sampson, après son élection, appela le serviteur que l’on avait chargé de lui attacher des fers aux mains et aux pieds et lui assigna une pension pour la vie. Cette charité fut cause que les moines chantèrent trois messes en son honneur. Il envoya aussi chercher maître Walter, fils de maître William de Dissy, et lui dit : « . Ton père était maître des écoles quand je n’étais, moi, qu’un pauvre clerc ; il me donna l’entrée libre et gratuite de son école, et le moyen d’apprendre ; aussi, moi, je te concède, pour l’amour de Dieu, la vicairerie de Chevington. » Charitable et bienveillant, Sampson se montrait sévère