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beaucoup d’autres les mettent en œuvre pour rassurer la population et lui persuader, ce qui est consolant pour elle et utile pour les panégyristes, qu’elle est vertueuse et riche autant heureuse. Thomas Carlyle le rêveur n’est pas aussi confiant. « Cette puissance du commerce a son danger, dit-il ; cette conquête fait des cadavres, une tension exagérée des forces sociales est féconde en douleurs. Vos souffrances naissent d’une énergie qui dépasse ses limites ; ne pas chercher le remède serait folie et faiblesse » Carlyle nous semble avoir décidément l’avantage sur ceux qui affectent de le mépriser. Un journal lui demandait récemment s’il était un puritain pour : traiter ainsi son époque. Dès que les vrais symptômes d’un temps sont signalés par un contemplateur désintéressé, les sycophantes lèvent les mains au ciel et crient que c’est un scandale. S’agit-il donc d’un de ces rois d’Orient que nul ne doit trouver malade ? et par quel bizarre sophisme ose-t-on prétendre que, pour signaler les cupidités infâmes, les sensualités ignobles et les doctrines énervantes, personne n’a titre, permission et autorité, s’il n’est un saint ou Dieu lui-même ? Carlyle repousse avec raison les attaques de ces philanthropes confits en amour de leur époque, qui ne voudraient pas être dérangés dans l’exploitation de leur philanthropie, dans l’heureux sommeil de leurs fortunes et de leurs gloires, et qui, trouvant odieuse la voix de l’avertisseur, lui demandent s’il est puritain, s’il est ange, s’il ne partage pas les torts de son temps.

On avait mis au concours, l’année dernières, la question suivante : « Déterminer les causes et indiquer les remèdes de la détresse ; qui existe aujourd’hui en Angleterre. » Cent cinquante sept personnes ont concouru. Un comité composé de sir David Brewster, Herman Merivale, George Pryme, Thomas Tooke et Jean Wilson, tous noms célèbres dans le haut enseignement, a décerné trois prix de valeur inégale, le premier à Samuel Laing, d’une famille écossaise connue dans les lettres, le second au révérend Joseph Angus, et le troisième à Édouard Baynes. L’œuvre du premier lauréat, publiée récemment, coïncide par le fond avec les vues de Carlyle ; comme lui, et avec moins d’éclat dans le style, M. Laing met le doigt sur la plaie, et fait voir ce que d’autres avaient soupçonné : la misère et l’opulence marchant ou plutôt courant parallèlement, et semblant lutter de vitesse ; une organisation barbare dans la production de la richesse, s’embarrassant peu du reste, pourvu qu’elle accumule les produits, et ne tenant compte ni de la vie ni du bonheur des hommes, pourvu qu’elle arrive à ce résultat : l’argent ; l’excès de travail abrutissant les populations soumises à la loi de fer de la civilisation britannique. M. Laing