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qui plaisent par leur ténuité même et par l’atmosphère morale qui les environne et les anime. Douze pages de ce style font plaisir ; quinze sont fades ; un volume produit l’effet d’un grand repas de sucreries. Ce roman de détail, si minutieusement chinois, si patiemment étudié, est particulier à l’Angleterre et au royaume du milieu, qui le cultive avec beaucoup d’art et de bonheur ; le petit nombre de fictions chinoises que M. Abel Rémusat et ses savans confrères ont traduites en français sembleraient sorties, de l’école de miss Burney. Une des femmes d’Angleterre qui écrivent aujourd’hui la prose anglaise avec le plus de grace et de facilité, la quakeresse Marie Howitt, s’est chargée de prêter à la Suédoise le costume britannique, et il faut convenir que la version est exécutée avec une agréable fraîcheur. Les Voisins, la Famille H…, les Filles du Président, Peines de famille et joies de famille, de Frederika Bremer, occupent assez le public féminin pour que sa biographie lui ait été demandée ; elle a répondu par une lettre curieuse insérée dans une feuille publique, et où des évènemens fort simples sont enveloppés d’un crépuscule mystique, assez commun vers les régions polaires. Trœlinnan, ou la Fille esclave, le dernier ouvrage de cet écrivain, manque de réalité et de vigueur ; c’est la mise en scène d’une saga du Nord, bizarre et vaporeuse, d’ailleurs de peu d’intérêt. Au surplus, la librairie anglaise aux abois se rejette vers les dernières limites de la Scandinavie, et demande aux écrivains suédois l’originalité de coloris qui manque aux écrivains anglais. Après Frederika Bremer vient immédiatement Emilie Carlen, auteur de la Rose de Tisteloen. Emilie Carlen n’est pas simple et gracieuse comme Frederika Bremer. Il y a des douaniers, des meurtres, des repentirs en foule dans son œuvre, mais rien de cette saveur singulière et domestique, de cette vérité du coin du feu qui rend les romans de Frederika dignes d’un coup d’œil de la critique. La tiédeur mélancolique des passions dans les ouvrages de cette dernière, et le peu de paroles que prononcent ses héros, complètent l’intérêt caractéristique dont ils s’entourent. On s’étonne seulement de les voir, à la fois sentimentaux et friands, confondre les intérêts de leur cœur avec les exigences d’une gastronomie très accidentée. L’amant prend son verre d eau-de-vie de Cognac ; la jeune personne blanche et timide qui vient de se marier à celui qu’elle préfère boit un grand verre de rhum à la fin du dîner, et, comme témoignage d’une joie impatiente, elle jette le verre vide par-dessus son épaule ; tous ceux qui l’environnent l’imitent. Le président s’abreuve d’anisette ; le candidat relève par le kirschwasser son esprit et son courage. Miss Gunilla, qui est une gracieuse