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personne, préfère le punch, et l’on dirait même que l’auteur a voulu conformer les nuances des caractères aux saveurs, de leurs préférences alimentaires ; c’est un raffinement de l’art que la critique n’aurait jamais deviné. Comme notre romancière n’oublie rien, il ne faut pas s’étonner de ce détail de liqueurs et de gourmandise ; dans ses œuvres, le lit se fait et se défait, la pipe et la bassinoire n’y manquent pas. Une grande délicatesse de touche relève ces objets, et même dans les Voisins, son meilleur ouvrage, certaine scène de pipe, scène qui nous montre le mari voulant fumer, la femme, ne le voulant pas, puis la réconciliation du ménage et l’apologie domestique de la pipe, fait venir très sincèrement les larmes aux yeux.

Parmi les produits de cette presse romancière, si féconde en volumes qui n’apprennent rien, les plus dignes de mention, ou du moins de lecture, sont encore quelques ouvrages dus à des femmes du monde, et les rapides et amusantes créations de l’inépuisable Dickens. Nous citerons en passant les Destinées des Falconars, par mistriss Gordon, roman qui se distingue par d’élégans détails d’observation intime ; un roman de lady Georgina Fullerton, Helen Middleton, qui ne manque ni d’intérêt ni de finesse, et Martin Chuzzlewit, le dernier ouvrage de M. Dickens. La trame de Chuzzlewit est mélodramatique et peu vraisemblahle ; il s’agit d’un vieillard presque idiot, instrument passif en apparence entre les mains des intrigans qui se sont emparés de lui, et tout à coup rejetant ses langes mystérieux, apparaissant comme la terreur du vice et le vengeur de la vertu. Sur ce fond vulgaire et faux, l’auteur a jeté d’heureuses figures, d’une vérité frappante pour qui connaît les oddities ou singularités de la vie bourgeoise en Angleterre ; avidité, prétention, moralité, extérieure, économie sordide et vaniteuse, mélange de frivolité dans le sérieux et d’ennui dans l’abus secret des plaisirs, tous ces caractères qui résultent du progrès d’une civilisation sans analogue ailleurs, sont croqués, comme disent les peintres, par le crayon de Dickens, avec une facilité vive et une justesse énergique dont les nationaux sont charmés. Il y a surtout un caractère de chercheur d’émotions, dont l’originalité est vraie, et dont M. Dickens a seulement un peu trop chargé la caricature. Cet homme a soif de sensations et d’aventures ; la vie calme l’ennuie ; il va de traverse en traverse, seulement pour agiter son existence ; c’est un bon rôle comique et parfaitement de notre époque. On ne peut trop regretter d’ailleurs la forme décousue que Dickens ainsi que Marryatt et la plupart des romanciers actuels, donnent à leurs créations. Publiant périodiquement et d’une façon fractionnaire