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Si nous revenons sur nos pas, et que nous cherchions avec sincérité le sens définitif des observations fournies par cette longue course à travers toute sorte d’ouvrages, anglais, coloniaux, américains, poésie, prose, romans, contes, philosophie, nous retrouverons ce résultat que nous avions énoncé plus haut, la similitude et l’abaissement des produits. Le besoin d’une popularité facile et le mercantilisme se font sentir partout. On veut être compris de toutes les intelligences, et l’on commence à craindre singulièrement l’originalité, la profondeur, l’élévation, l’intensité, qualités qui ne sont pas de tout le monde, défauts pour qui ne les sent pas. De là diffusion, lenteur de style, abus de mots, facilité de verbiage, mélange d’ampoulé et de commun, des notions que l’on n’épure pas, des inventions que l’on néglige de concentrer, des faits que l’on ne vérifie point aux sources, des talens qui se perdent ou s’égarent ; rien d’achevé. On craint le pédantisme ; l’avidité coopère avec ce penchant, qu’elle fortifie et qui la sert ; au nom du circulating-library, du cabinet de lecture, l’écrivain est sommé d’étendre son travail jusqu’à certaines dimensions ; il ne peut plus produire d’œuvre contenue dans un petit cadre, plus de ces rayons purs qui tiennent peu de place et vont loin, — le Vicaire de Wakefield, — Manon. Lescaut, — Adolphe. Il faut trois volumes post-octavo, selon la forme voulue et le goût du public. Allongez, délayez. Si c’est un voyage, trois volumes et gravures ; si c’est un roman, trois volumes et de nombreux chapitres. La nécessité des gravures est un autre résultat de l’industrie matérielle envahissant les œuvres de l’esprit. Tous n’ont pas de génie : à quelques-uns l’imagination, au plus petit nombre la réflexion ; mais tous ont des sens. Traduisez donc l’idée en images ; faute de conquérir toutes les intelligences, vous ouvrez tous les yeux ; ce progrès était dans la fatalité des conséquences. Si vous consultez les catalogues, vous verrez que le même flot de lithographies et de bois gravés couvre les États-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Dans cette manufacture des choses imprimées, les Allemands sont les plus arriérés, et nous fabriquons plus que les Anglais. Le roman-feuilleton ne prospère que chez nous.

Quant aux Allemands, ils ont appliqué ce procédé à la traduction ; ils traduisent tout : romans anglais du dernier ordre, vaudevilles français de toute couleur, nouvelles, contes, tout y passe. L’année dernière, on publiait en allemand une traduction nouvelle de la Semaine de Dubartas, et une autre du Galant homme, espèce de civilité puérile et honnête appartenant au commencement du XVII siècle, Der Galanthomme ! Toutes les pièces de M. Scribe sont immédiatement