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le maréchal de Vauban lève l’étendard d’une réforme, et, en place des mille impôts abusifs qui, sous des noms différens, écrasaient les classes pauvres, il conseille une taxe unique, uniforme, inspirée par un principe alors bien nouveau, celui de l’égalité proportionnelle des charges. Bois-Guillebert vient ensuite, et parle de ces graves intérêts avec une entière liberté d’esprit. En face du monarque le plus vain et le plus absolu, il ne ménage ni la soif des conquêtes ni la manie des prodigalités, montre l’abîme où de telles passions conduisent le trésor, et conclut à un renouvellement complet dans le mécanisme administratif de la France. Avant lui, les plus fortes têtes en matière d’économie publique s’étaient accordées à voir dans les métaux précieux la cause et le signe de la richesse d’un peuple : l’art de gouverner consistait dès-lors à attirer et à retenir chez soi l’or et l’argent, en leur assurant des facilités à l’entrée du royaume et en leur opposant des obstacles à la sortie. Bois-Guillebert comprit et démontra la vanité de ce, système ; il expliqua le rôle que jouent les métaux comme agens de circulation, et, sans méconnaître les services qu’ils rendent, il en limita la portée. Law poussa cette réaction plus loin, et naturalisa en France, avec le papier-monnaie, les excès de l’agiotage.

Ainsi les élémens de la science s’amassaient peu à peu. Des discussions sur les valeurs métalliques, on passa à l’étude des forces productives. Au milieu des écrits qu’engendra la crise de la rue Quincampoix ceux de Melon et de Dutot se firent remarquer par quelques aperçus curieux sur l’industrie et le commerce. Un malaise profond pesait alors sur ces deux branches du travail. La prospérité un peu artificielle que l’administration de Colbert avait vu éclore venait de disparaître au milieu des dilapidations du grand règne et des témérités financières de la régence. On eut vainement cherché, à cette époque, les quarante-quatre mille métiers à laine que laissa, en mourant, le ministre de Louis XIV, cette population de cent mille marins sortie à sa voix de notre littoral. Tout dépérissait, et chacun se préoccupait des motifs de ce dépérissement. Melon crut les entrevoir dans le mouvement et l’équilibre des échanges avec l’étranger ; il imagina une loi, connue depuis sous le nom de balance du commerce, qui constituait l’état en bénéfice toutes les fois que la somme des sorties dépassait celle des entrées, et en perte dans l’hypothèse contraire. En cela, Melon s’appuyait sur Colbert, comme Quesnay, chef de l’école des physiocrates, s’appuya ensuite sur Sully. Le règne de ces derniers ne tarda pas venir. Les déceptions du papier-monnaie et les mécomptes industriels avaient lassé les esprits ; par un sentiment