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l’Espagne, il fallait aux masses une compensation poétique, et voilà pourquoi, depuis la fin du XVIIIe siècle, à travers les guerres de l’indépendance et les crises sociales de ces derniers temps, il s’est produit en Espagne tout un romancero de chants populaires. Blasés et le cœur desséché, les lettrés de 1780 ou de 1808 auraient cru se compromettre, sans aucun doute, s’ils y avaient pris garde le moins du monde ; mais, dans ces dernières années, quand on s’est lassé de ce que l’on était convenu d’appeler le règne de la raison sévère et des strictes règles de l’art, c’est précisément à cette poésie populaire, jusque-là reléguée avec les bandes de contrebandiers et de guerilleros dans les sierras d’Andalousie ou les ravines de Catalogne, que les jeunes dramaturges se sont empressés d’ouvrir à deux battans les grandes portes des théâtres de Madrid.

Au moment où M. Gil y Zarate a fait représenter ses premières pièces, la scène espagnole était encore livrée au genre classique ; déjà pourtant la réaction romantique s’était déclarée en France, et les applaudissemens qui accueillaient à Paris Henri III et Marion Delorme ne tardèrent point à se prolonger jusqu’à Madrid. Dans les deux écoles, M. Gil y Zarate a tour à tour lutté avec une intrépidité exemplaire, et il est aujourd’hui considéré comme l’un des chefs de cette troisième école nationale qui maintenant se relève, aussi distincte des deux autres que la première peut l’être de la seconde. M. Gil y Zarate n’est pas seulement un poète dramatique ; publiciste, administrateur, simple critique, simple journaliste même, il a pris une large part à la discussion des idées où se retrempe l’Espagne constitutionnelle. A travers les ennuis littéraires et les vicissitudes politiques, M. Gil y Zarate a fait tout seul sa position, et une position sous quelques rapports glorieuse ; esquisser rapidement sa biographie, ce sera faire l’histoire, nous pouvons l’affirmer, de presque tous les esprits d’élite qui se sont produits en Espagne durant ces derniers vingt-cinq ans.

M. Gil y Zarate est né à l’Escurial, en décembre 1796, de la comédienne Gil et du comédien Zarate, que l’on a long-temps applaudis sur les scènes de la Cruz et del Principe. A peine âgé de huit ans, il fut envoyé en France par son père, et son enfance s’écoula tout entière dans une institution de Passy. Plus tard, quand il retourna dans son pays, il en avait presque tout-à-fait oublié la langue ; ce fut une autre éducation à commencer. Très peu de temps après son retour, cependant, M. Gil y Zarate entreprit les travaux multiples qu’il poursuit à l’heure présente ; comme les jeunes hommes éclairés de cette époque (c’était en 1819, un peu avant la seconde phase constitutionnelle, il