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de la captive. Un instant, il la peut désoler en lui annonçant que sur le même bûcher où elle doit brûler vive, Florencio est aussi condamné à mourir. Les amours d’Inès et de Florencio ne sont point de celles que l’on peut étouffer sur la terre ; par-delà les flammes du bûcher, elles revivent dans le ciel. Pour son amant, Inès accepte fièrement la mort comme elle l’avait acceptée pour elle-même, et Inès a bien jugé son amant. Froïlan quitte enfin le cachot et va lui-même veiller aux apprêts du supplice. Touché des larmes de la condamnée et ne pouvant, comme il le dit lui-même, résister à une si douce sorcellerie, le geôlier de l’inquisition lui amène Florencio. Tous deux résolus à mourir, Inès et Florencio se demandent s’il ne vaut pas mieux en finir par le poison que par les flammes ; pendant que les familiers du saint-office imaginent de nouvelles tortures, tous deux échapperont à leurs persécuteurs. Ici commence la plus belle scène du drame, celle où M. Gil y Zarate a mis le plus de poésie et d’élévation, la seule du reste où il n’ait exprimé que des sentimens généreux, la seule qu’àce titre on puisse applaudir sans le moindre scrupule et de tout son cœur. Florencio ôte de son doigt un anneau qui renferme un poison subtil, et, après l’avoir ouvert, l’applique à ses lèvres À ce moment Inès, subitement frappée d’une autre idée, s’élance à lui et arrête son bras :


« Attends, s’écrie-t-elle, que faisions-nous ? attends !
FLORENCIO. — Eh quoi ! tu as peur ?
INES. — Moi ! avoir peur tu te trompes.. Du moins, je n’ai pas peur de mourir, mais seulement de te perdre…
FLORENCIO. — Tu dois me perdre, et pour toujours ; ainsi le veut le destin inexorable.
INÈS. — Oui, dans ce monde de misères ; mais dans un monde meilleur nous devons nous retrouver ensemble et nous aimer d’un éternel amour. C’est là l’espérance enivrante qui dans tous mes maux m’a soutenue. Mais du séjour céleste c’est la vertu qui ouvre les portes, et notre dessein est si criminel ! Souffrons, ô mon bien-aimé ! sachons souffrir. Qu’importe de souffrir une heure encore, si, toujours purs et dignes de grace, nous pouvons bientôt nous présenter devant le trône de Dieu ? Crains-tu que le courage manque à la femme que tu aimes ? Non, quand je subirai ma sentence, tu me verras sourire au milieu des flammes ; fixe alors tes yeux sur les miens, tu verras que, fixant aussi mes regards sur toi, je te donnerai le oui nuptial d’une voix aussi ferme que si nous étions au pied de l’autel… En dépit de nos persécuteurs, le bûcher même sera l’autel ; ses charbons ardens se convertiront en un lit de roses où s’accomplira notre union ! »


Rarement, il en faut convenir, la résignation et l’espérance chrétienne ont trouvé de plus sublimes accens. On peut juger de l’impression