Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 7.djvu/633

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que doit produire une telle scène dans un pays où chacun au besoin sait mourir, sans rien comprendre, du reste, à Werther ni à René.

Nous voici parvenus au cinquième acte ; dès ce moment, le drame se précipite avec une rapidité sans exemple dans le théâtre espagnol. Revêtu du costume des condamnées et coiffée du san-benito, Inès est conduite au supplice. Durant le trajet, elle échappe aux alguazils et se réfugie au palais ; elle pénètre jusqu’au roi Charles II. Dans l’égarement de la désolation et de la terreur, elle se jette aux genoux du roi, elle parle de ses malheurs et de sa naissance… Le roi, qui d’abord avait reculé, comme à l’aspect d’une reprouvée, s’élance vers elle et l’embrasse avec effusion. Inès est sa fille, sa fille dont la perte lui arrache depuis seize ans des larmes si amères, et que, depuis bien des jours déjà, il faisait vainement chercher de l’un à l’autre bout des Espagnes ! En l’embrassant, Charles II renaît enfin au bonheur de vivre ; mais Froïlan se présente, à la tête des familiers du saint-office, réclamant la sorcière qui doit mourir. Charles II s’indigne, il prie, il pleure, il menace le grand-inquisiteur de sa colère. La colère de Charles II ! Elle est bien faite pour intimider l’inquisition, qui a bravé celle du fils tout-puissant de Charles-Quint ! Froïlan va l’emporter sans aucun doute, quand tout à coup un jeune soldat, qui jusque-là s’est tenu à la porte, la visière baissée et l’arquebuse à l’épaule, jetant au loin son arme pesante sur le parquet sonore et dégaînant un poignard, s’avance vers Froïlan, lui montre à nu son visage, et lui dit : « Me reconnais-tu ? — Florencio ! . s’écrie Froïlan. » Oui, Florencio, qui, lui aussi, est parvenu à s’échapper des cachots du saint-office ; Florencio, qui, sous l’habit d’un garde, venait demander au roi la grace d’Inès. Mais ce n’est point assez qu’Inès vive, il faut encore qu’elle soit vengée. A peine Froïlan a-t-il reconnu Florencio, que celui-ci lui plonge son poignard dans le cœur.

A mesure que nous avons présenté l’analyse de ce drame, nous avons eu soin d’en indiquer les qualités et les défauts. Chacun, du reste, a pu voir ce que les situations ont de véritablement tragique, et, ce qu’elles ont d’exagéré, ce que M. Gil y Zarate a de temps en temps mis de grandeur dans les caractères, et en quoi il les a outrés. M. Gil y Zarate a exactement décrit les mœurs de l’Espagne au XVIIe siècle, mais à un point de vue exclusif et par conséquent étroit, au point de vue de la terreur qu’inspirait le seul nom du saint-office. C’est le style qui forme la plus brillante partie de l’œuvre, bien que çà et là il soit un peu forcé, et que plus souvent encore il manque, non pas d’énergie, mais de concision. Ce n’est pas, du reste, sous le rapport littéraire que Don Carlos