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dans les lettres, et des revenans glorieux. De grands esprits, dédaignés de leur vivant, émergent du sein des ombres et viennent, après décès, prendre possession de la vie pour ne plus la quitter : c’est une belle revanche ; Vico a eu la sienne, et il doit à M. Michelet d’avoir si promptement gagné sa partie en France. Il est vrai cependant que la première traduction était écourtée, presque tronquée ; mais le précis était excellent et porta la traduction. Le second travail de M. Michelet fut bien supérieur au premier, bien qu’il n’ait pas découragé les rivaux, et qu’aujourd’hui même une dame célèbre qui se complaît dans les idées sérieuses, une princesse qui a commerce avec les pères de l’église, publie une traduction complète de la Science nouvelle, avec préface sur la vie et les ouvrages de Vico. Je me hâte de dire que de telles entreprises sont constamment à l’ordre du jour : le tout est d’y briller, ou au moins d’y être utile.

Je n’ai pas à développer et à discuter en ce moment le système de Vico ; j’éprouve le besoin de dire cependant que la Science nouvelle ne me parait rien moins qu’une révélation historique. Je mets à part le génie de Vico et les ingénieuses découvertes de détail, je ne parle que du système. Au lieu d’éclaircir les ténèbres antérieures, il me semble qu’il les épaissit. Il fait entrer de vive force le monde réel dans son cercle idéal. Dès-lors il y a un résultat évident pour moi, c’est que les histoires particulières sur lesquelles j’avais des données très positives n’existent plus, et que l’histoire universelle éternelle, qui sera toujours fort douteuse, n’existe pas encore ; de telle sorte qu’en suivant Vico, j’ai abandonné la proie pour l’ombre. — Je dis cela bien humblement en présence d’autorités si graves, mais il faut avoir le courage de son opinion.

Le livre de Mme la princesse de Belgiojoso est une œuvre louable, bien qu’à vrai dire, ni la traduction ni la préface ne donnent à connaître aucune particularité nouvelle sur le caractère, le génie ou le système de Vico. L’introduction, à laquelle on attribue peut-être une grande importance, a des passages heureux et des naïvetés. On sait que, d’après Vico, ce fut le premier coup de tonnerre qui délia la langue de l’homme, et qu’à ce moment de terreur fut prononcée la première syllabe pa. De ce pa au sanscrit, il y a une course. L’auteur de la préface explique clairement toute la pensée de Vico, et il ajoute avec beaucoup de sérieux : « Vico pense que le développement de la parole ne fut pas pour les hommes l’affaire d’un jour. » Je le crois bien. La parfaite connaissance de la langue philosophique n’est pas non plus pour l’écrivain l’affaire d’un jour.

J’ai remarqué que l’auteur de la préface s’exprime dans les deux genres, que tantôt il s’est efforcé, et que tantôt elle est satisfaite. Un flatteur dirait que le génie n’a pas de sexe, et je serais capable de le dire, si je n’avais la clé de l’énigme, que Mme de Belgiojoso me remet elle-même. Elle parle des amis qu’elle a consultés, de l’assistance qu’elle en a reçue. Ne serait-ce pas alors quelqu’un de ses amis irresponsables qui aurait oublié de retirer sa prose ? Pourquoi donc emprunter, quand on est riche ?