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sa puissance à les limiter ; tandis que l’Angleterre se couvrait de caisses d’épargne, il n’en existait pas, en France plus d’une dizaine au moment de la révolution de juillet. Le nouvel établissement eut surtout à lutter contre une autre institution fameuse, qui flattait par ses promesses séduisantes la misère du peuple. Au reste, le résultat de ce duel, ne pouvait être long-temps douteux ; la victoire pencha du côté des doctrines économiques de l’époque et de l’inexorable bon sens : la caisse d’épargne venait de naître, la loterie disparut.

Il ne faut calomnier personne ; aujourd’hui surtout que la loterie est au rang des institutions déchues, il convient de la juger avec impartialité. La loterie s’appuyait sur un sentiment de la nature humaine dont les pères de l’église avaient fait une vertu théologale, dont les physiologistes modernes ont fait un organe du cerveau ; ce sentiment est l’espérance. Quand la foi au paradis vint à pâlir, la société eut besoin d’une institution aléatoire qui plaçât dans cette vie l’attente d’un meilleur sort. En faisant luire aux yeux de la classe souffrante le miroir des illusions, la loterie flattait cet instinct du merveilleux qui avait été si long-temps exalté par les croyances du moyen-âge. La loterie s’associait d’ailleurs plus qu’on ne croit, au sentiment religieux : combien de cierges allumés par de vieilles femmes sur les triangles en fer de nos églises, dans l’attente d’un extrait, d’un ambe ou d’un terne ! Que de sous tombés dans le tronc du culte, auxquels on demandait des pièces blanches ! Au point de vue matériel, cette institution se soutenait par le désir du gain ; si l’on peut définir la pauvreté un billet non gagnant dans la loterie de la vie, l’homme auquel ce triste lot était échu avait peut-être quelque droit de demander à remettre la main dans l’urne : ce second tirage pouvait corriger pour lui le tirage de la naissance. Ces raisonnemens ne trouvèrent pas grace devant la froide logique des publicistes : presque tous, scandalisés des abus d’une institution qui dévorait les économies de la classe pauvre, la condamnèrent comme immorale. En retirant la loterie, on a enlevé du monde une grande poésie, celle du hasard ; mais il faut reconnaître que cette poésie était ruineuse pour le peuple, et qu’on a bien fait d’y substituer un système d’épargne plus en rapport avec les mœurs économiques de notre siècle. La restauration était le gouvernement des croyances ; le nouveau pouvoir était le gouvernement de la raison et des intérêts matériels : le premier avait favorisé la loterie, le second la frappa.

La révolution de 1830 imprima aux caisses d’épargne un mouvement