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comme dangereux ; l’expérience a au contraire démontré dans les années orageuses, à la suite des émeutes qui ont ébranlé Paris, que le meilleur moyen de rassurer les déposans pâles et agités qui venaient en hâte retirer leurs mises était de leur montrer de l’argent. Quelques-uns perdaient à l’instant même une résolution dictée par la peur, en voyant la facilité qu’ils avaient de rentrer dans leurs créances. La véritable manière pour ne pas être contraint à payer, c’est de montrer qu’on en a les moyens. D’autres déposans qui avaient retiré leur somme s’en trouvaient bientôt embarrassés, et venaient la rapporter au bout de quelques jours, non sans l’avoir légèrement écornée çà et là aux folles dépenses de la vie ; ils juraient alors, honteux et contrits, de ne plus se laisser prendre à la crainte.

Après avoir long-temps envisagé la difficulté sous toutes ses faces, l’avis de la commission a été qu’il n’y avait rien à faire. Les adversaires des caisses d’épargne prendront cette conclusion pour une déroute ; ils diront que le problème ; resté insoluble, ayant vaincu les esprits les plus capables, les dangers de cette institution subsistent tout entiers. Il y a sans doute là un inconvénient que tout le monde admet, mais il ne faut pas l’exagérer. Il faut surtout se défendre de cette prévoyance ombrageuse qui va toujours chercher ses obstacles dans l’exception, dans la conjecture, dans l’éventualité, et qui se prive de faire le bien dans un présent certain, par la crainte souvent imaginaire d’un avenir douteux et chimérique. Sans doute on ne doit pas s’endormir dans un quiétisme aveugle quand il s’agit d’intérêts, et surtout des intérêts de la classe laborieuse, mais les alarmistes ont aussi le défaut de tout troubler sans rien fonder ni rien modifier. Pour que la caisse d’épargne fût renversée, il faudrait autre chose qu’une émeute, autre chose qu’une panique, autre chose même qu’une guerre étrangère ; il faudrait une invasion. Oui, il faudrait que la France fût conquise anéantie, démembrée, qu’elle eût cessé d’être la France. Eh bien ! nous le demandons, quelle est l’institution qui survivrait à cette mort nationale ? Aucune, assurément. La caisse d’épargne, en s’abîmant dans une catastrophe et une tourmente universelles, ne ferait donc que subir une loi inévitable. Éloignons de nos regards cette triste et fantastique prévision de maux que la main de la Providence écartera à jamais de notre pays. Ajoutons, pour nous rassurer et pour raffermir la confiance dans cette masse si nombreuse de travailleurs qui va porter ses économies à la caisse d’épargne, que l’Angleterre se trouve sur ce point dans le même cas que la France. Or l’Angleterre ne craint pas. Un des administrateurs de la caisse d’épargne de Londres,