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en sommes déposées, dans les cinq dernières années, a été de 41 millions. Si ce progrès continuait dans la même proportion pendant douze ans, le nombre total des déposans à la caisse d’épargne de Paris seulement se trouverait être de trois cent mille, auxquels il serait dû environ 200 millions. L’accroissement des dépôts dans les caisses d’épargne des départemens est encore plus considérable qu’à Paris, et l’œil de l’économiste entrevoit déjà le moment où l’institution sera dépositaire dans tout le royaume de plus d’un milliard. Cette prospérité est si grande, qu’elle commence à jeter l’alarme dans certains esprits ; on s’effraie d’un succès qu’on a provoqué, et déjà les caisses d’épargne sont accusées de trop bien remplir leur destination. Nous ne nous dissimulons pas ce que cette accusation a malheureusement de trop fondé : s’il survenait une crise, si une panique excitée par des évènemens imprévus arrivait à jeter la perturbation dans les affaires, les 360 millions que les caisses d’épargne ont maintenant en dépôt seraient redemandés. En 1840, alors que la menace de la guerre sema dans les esprits un commencement d’inquiétude, les remboursemens des dépôts d’épargne dépassèrent les versemens de 400,000 francs, puis le mois suivant (octobre) de 4 millions. Or, ce sont ces années de bruits de guerre et de crainte sourde que les adversaires des caisses d’épargne ne prennent avec raison pour point de comparaison des périls futurs. Que fera l’état, quand une population inquiète, turbulente, livrée par avance à toutes les terreurs de la faim, viendra s’entasser dans la rue à la porte de la caisse, pour réclamer son argent ? Ne restera-t-il pas lui-même les mains vides, pris qu’il sera au dépourvu entre des obligations énormes et la nécessité de faire face à des évènemens qui menacent le pays ? Que résultera-t-il de cet embarras inévitable ? Une perte affreuse pour les déposans, et pour le gouvernement, disons le mot, une banqueroute.

Une commission s’est formée très récemment, dans le but de prendre des mesures pour que des demandés de remboursement subites et trop considérables ne viennent point à amener quelque désastre. On a proposé et discuté longuement divers moyens plus ou moins capables de conjurer les éventualités de la peur ; quelques-uns étaient d’avis qu’on trouverait un remède aux inconvéniens de la position actuelle dans l’augmentation du délai entre la demande et le remboursement ; ils estimaient qu’on pouvait fixer ce délai à six semaines. Ce terme leur paraissait suffisant pour donner à l’opinion publique le temps de se calmer, et pour prendre toutes les mesures que les circonstances rendraient nécessaires. Les hommes de pratique ont rejeté ce moyen