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Trinité étaient explicitement affirmées et universellement consenties dans les premiers siècles de l’ère chrétienne. Or, c’est là ce que les passages invoqués ne démontrent pas le moins du monde.

Le premier qu’on cite est tiré de saint Clément. « N’avons-nous pas, dit l’évêque de Rome, un même Dieu, un même Christ, un même esprit de grace répandu sur nous ? » Je demande ce qu’une critique exacte peut conclure d’un tel passage, alors même qu’on le rapprocherait avec tout l’art du monde d’un certain nombre de passages analogues. Je vois là trois noms, encore sont-ils assez peu précis : Dieu, le Christ, l’esprit de grace. Où est la détermination de la nature de ces trois termes ? Où est la divinité du Christ ? Où est celle de l’Esprit ? Où sont l’égalité, la consubstantialité du Père et du Fils ? Qui m’assure même qu’il faut s’arrêter à trois personnes et que l’énumération est terminée ?

Les textes de saint Hermas et de saint Ignace ne sont guère plus significatifs. D’ailleurs, ne sait-on pas que ces textes n’ont aucune authenticité ? On dit qu’ils sont fort anciens, qu’ils sont cités dans des auteurs du IIe et du IIIe siècle ; c’est déjà bien s’éloigner des apôtres. Mais il est impossible d’accorder même cela. On n’ignore pas, en effet, que, lorsqu’il s’agit d’absoudre saint Ignace de l’accusation d’arianisme, les théologiens sont obligés de soutenir que ses épîtres ont été falsifiées au ive siècle par des mains ariennes.

Je reconnais que les passages de saint Justin, de Tertullien et de Clément d’Alexandrie ont beaucoup plus d’importance ; mais ils sont si peu favorables à la thèse qu’on veut établir, qu’au besoin il serait possible de les retourner contre elle. « Nous adorons, dit saint Justin, le créateur du monde ; à la seconde place, le Fils ; à la troisième, l’Esprit prophétique. » Je ne veux pas argumenter trop strictement contre un texte isolé ; mais il me semble qu’un hérétique se servirait assez bien des paroles de saint Justin pour introduire des degrés de perfection dans la sainte Trinité ; en tout cas, M. Jules Simon m’accordera aisément que ce passage ne serait pas bon à citer pour prouver l’égalité absolue des trois personnes divines. Saint Justin ne passe pas auprès des théologiens pour avoir toujours été d’une orthodoxie parfaite ou du moins d’une correction irréprochable sur ce point délicat ; et l’on sait assez que les pères alexandrins ne sont pas des guides infaillibles touchant la distinction des personnes. Saint Justin dit ailleurs, il est vrai : « Le Fils est Dieu. » Mais comment l’est-il ? Voilà la question. Arius lui-même disait aussi que Jésus-Christ est Dieu, et les alexandrins admettaient à leur façon la divinité du Verbe. Avec une critique