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des fers nationaux. Par conséquent, l’industrie de Liége n’attend rien de la réconciliation des cabinets de Bruxelles et de Berlin, et plus que jamais elle jette avec désespoir ses regards sur les barrières élevées de toutes parts autour d’elle.

Il faut bien distinguer le parti industriel des partis purement politiques. Celui-là est près d’accepter les débouchés dont il manque, de quelque côté qu’on les lui ouvre ; les partis politiques en sont encore, par excès de méfiance nationale, à craindre les faveurs de la France. Les libéraux soutiennent vivement M. Nothomb dans sa tentative de rapprochement avec la Prusse. Les catholiques sont plus habiles ; ils essaient de mettre à profit la consternation générale en se hâtant d’exprimer tout haut un vœu qu’ils nourrissaient depuis les premiers jours de la révolution, mais qu’ils n’avaient jamais formulé nettement ; ils conseillent aux Belges l’isolement commercial et politique. Telle est en effet la portée des mots significatifs qu’on a pu lire, il y a quelque temps, dans le Journal de Bruxelles, organe principal de l’opinion catholique : « Encore quelques provocations, dit ce journal, à des hostilités commerciales de la part de l’Angleterre, de la Hollande et de la France même, aussi peu justifiées que celles de la Prusse, et la Belgique saura faire comprendre à ses voisins que le pays qui consomme, non pas le plus de matières, mais la plus grande somme d’objets fabriqués, et qui reçoit le plus de marchandises en transit, est aussi le pays qui dicte les conditions selon lesquelles il veut être traité. » Pour comprendre ce langage, il faut savoir que le parti catholique s’appuie sur l’intérêt agricole ; il déplore au fond du cœur que l’intérêt industriel impose des alliances à une nation qu’il voudrait préserver du contact de ses voisins. Si ce parti agit puissamment sur le pays moral, le pays matériel a des besoins qu’il ne peut satisfaire ; il voudrait les voir s’affaisser faute d’alimens ; mais les industries, et c’est ce qui rend le plan des catholiques impraticable, ne consentent point à s’éteindre. Elles survivent long-temps aux conditions de leur prospérité. Ce qui les éternise, ce qui les force à s’ouvrir de nouvelles issues, quand elles ont perdu leurs premiers débouchés (comme c’est le cas des industries belges), c’est qu’elles produisent avant tout une population de producteurs que le travail seul peut nourrir. Ainsi le parti industriel ne consent point à l’isolement ; il ne croit plus à l’alliance prussienne. Il pousse le gouvernement et les partis politiques à revenir, par un long détour, à cette alliance qu’ils voudraient bien éviter, à l’alliance française.

La position de la France est donc excellente pour le moment ; mais elle peut changer d’un jour à l’autre. Le gouvernement aurait dit déjà encourager cette tendance. Loin de là, il repousse les ouvertures que le cabinet de Bruxelles, après la rupture avec la Prusse, est venu lui faire pour apaiser les mécontentemens de l’opinion industrielle, et s’empresse de suspendre la négociation à la première difficulté qui se présente, parce qu’il ne veut pas être forcé de songer à autre chose qu’aux affaires du Maroc et de Taïti.