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modèle : ici, au contraire, l’intention de chercher un type nouveau est manifeste. On ne se borne pas à modifier les formes anciennes, on en choisit qui n’ont jamais été employées, et on les exprime sans hésitation, sans mollesse, avec un accent hardi et novateur.

Ce genre d’innovation, il est vrai, ne saurait être parfaitement senti que par un œil exercé, tandis que tout le monde, au premier coup d’œil, appréciera ce qu’il y a de neuf dans les imitations d’objets naturels que le style à ogives emploie comme ornement. D’abord il n’imite presque exclusivement que des végétaux : plus d’oves, plus de perles, plus de rais-de-cœur, comme dans l’antique, plus de têtes de clous, plus de pointes de diamans, plus de galons ni de broderies, comme au temps du plein cintre bysantin ou roman : l’ornementation devient essentiellement végétale. Ce n’est pas tout au lieu d’idéaliser les végétaux, comme on l’avait fait jusque-là, au lieu de leur prêter une forme conventionnelle, en harmonie avec le caractère des monumens antiques, on les copie purement et simplement, on les calque d’après nature ; c’est la représentation exacte de certaines plantes, de certains feuillages qu’on fait exprimer à la pierre ; enfin, on ne se contente pas d’adopter une nouvelle manière d’imiter les plantes et les feuillages, on en cherche les modèles, non plus en Orient ni sous le beau ciel de la Grèce ou de l’Italie, mais dans nos forêts et dans nos champs : c’est la feuille de chêne, la feuille de hêtre, c’est le lierre, le fraisier, la vigne vierge, la mauve, le houx, le chardon, la chicorée et tant d’autres plantes, toutes de notre sol et de notre climat, qui viennent couvrir les archivoltes et composer les chapiteaux. Jamais ces végétaux modestes n’avaient reçu tant d’honneur ; jamais architectes, avant le XIIIe siècle, n’avaient daigné chercher en eux un motif d’ornement. Le style antique les eut trouvés trop prosaïques. Il ne s’adressait au règne végétal que pour orner les édifices les plus pompeux. L’ordre dorique n’en admettait pas l’emploi ; l’ionique les tolérait à peine et seulement dans la frise ; le corinthien seul en faisait un abondant usage, mais comme tout, dans cet ordre, devait affecter un air de majesté, c’eût été un contre-sens que d’y introduire des feuillages sous leur forme simple et naturelle ; quelque riche, quelque noble que fût, par elle-même, la feuille d’acanthe, il fallait la rendre plus riche et plus noble encore ; ajouter à la fermeté et à la fierté de ses formes, l’idéaliser, en un mot, pour la rendre digne de servir de support à ces somptueuses corniches et de couronnement à ces brillantes colonnes. Le même principe s’appliquait aux rinceaux et aux enroulemens aussi bien qu’aux chapiteaux. L’artiste,