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des yeux ces longues files de piliers, vous les trouvez tous couronnés de même ; les feuillages qui serpentent à l’entour des chapiteaux peuvent varier quelquefois, ce n’est là qu’un détail accessoire ; mais la hauteur, la largeur, la forme générale, ne changent pas ; vous retrouvez le même caractère, le même accent, le même profil dans le chapiteau, non-seulement de chaque pilier, mais même de chaque colonne de chaque colonnette, ou du moindre fuseau.

Il en est de même des bases ; leur régularité répond à celle des chapiteaux. Les voûtes elles-mêmes, quelle que soit la variété de leurs décorations, ne présentent jamais que des combinaisons qui se répètent avec ordre et symétrie. Quoi de plus raisonnable et de mieux motivé que les nervures croisées des XIIIe et XIVe siècles ? Si, vers la fin du XVe, l’amour des tours de force engendre des complications presque inintelligibles, ce n’est pas au système à ogives, alors expirant, qu’il est juste de les imputer.

Enfin, quant aux façades et aux extérieurs d’église, est-il vrai qu’aucune « espèce de goût ni de raison ne puisse s’en rendre compte ? » Ces contreforts et ces arcs-boutans, qu’on veut nous donner comme d’informes échafaudages, produisent-ils donc un effet si confus et si désordonné, n’ajoutent-ils pas au monument une ampleur pyramidale qui contraste merveilleusement avec la légèreté purement verticale de la décoration intérieure ? Le chevet de Notre-Dame de Paris aurait-il cet aspect grandiose, s’élèverait-il si noblement à l’extrémité de cette île ; ne semblerait-il pas maigre, étroit et fragile, sans les majestueux supports qui l’entourent de toutes parts. Ces prétendues aberrations ne sont donc que d’habiles et ingénieux calculs. Ce qui est vrai du chevet de Notre-Dame de Paris l’est également du portail de Notre-Dame de Reims. Cette richesse somptueuse des façades, où l’on dit que la raison se perd, cesse d’être une énigme quand on sait en pénétrer le sens, quand, au lieu de s’arrêter à quelques défauts de symétrie matérielle, on s’élève jusqu’à la signification symbolique de ces grandes compositions, quand on cherche l’harmonie générale cachée sous leur brillante variété.

Enfin, ce n’est pas assez d’être originale, méthodique et régulière, l’ornementation du style à ogive revêt à chacune de ses phases une physionomie tellement tranchée, qu’avec une étude, même légère, On peut, à la vue des monumens, reconnaître, presque à coup sûr, à laquelle de ces phases ils appartiennent, et constater ainsi approximativement leur âge. Les caractères distinctifs de ces diverses phases, bien qu’ils ne consistent que dans des nuances, sont cependant plus facilement