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a ses époques. L’entrée de Saturne au Lion nous marque l’origine d’un tel crime. Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

« Rien, suivant la seule raison, n’est juste de soi. La coutume fait toute l’équité, par cela seul qu’elle est reçue : c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que les lois qui redressent les fautes ; qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi ; elle est toute ramassée en soi : elle est loi et rien davantage…

« La justice est sujette à dispute, la force est très-reconnaissable et sans dispute Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste… On appelle juste ce qu’il est force d’observer… Voilà ce que c’est proprement que la définition de la justice.

« Montaigne a tort : la coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle soit raisonnable et juste »[1].

Mais à quoi sert de multiplier les citations ? Il faudrait transcrire mille passages de Montaigne, que Pascal rappelle, résume ou développe, non pas, comme l’ont dit d’honnêtes éditeurs, pour les réfuter à loisir, mais au contraire pour s’y appuyer et les faire servir à son dessein.

Voulez-vous connaître la politique de Pascal ? Elle est la digne fille de sa morale. C’est la politique de l’esclavage. Pascal, comme Hobbes, place le dernier but des sociétés humaines dans la paix, et non dans la justice : pour l’un comme pour l’autre, le droit est dans la force. Mais Hobbes a du moins sur Pascal l’avantage d’une rigueur parfaite. Par exemple, il se serait bien gardé d’admettre que l’égalité des biens soit juste en elle-même, pour aboutir à cette belle conclusion pratique qu’il faut maintenir tant d’inégalités destituées de tout fondement. Rien d’ailleurs est-il plus faux, je ne dis pas seulement plus impraticable, mais plus injuste en soi que le principe de l’égalité des biens ? Ce n’est pas là qu’est l’égalité véritable. Tous les hommes ont un droit égal au libre développement de leurs facultés ; il ont tous un droit égal à l’impartiale protection de cette justice souveraine, qui s’appelle l’état ; mais il n’est point vrai, il est contre toutes les lois de la raison et de l’équité, il est contre la nature éternelle des choses que l’homme indolent et l’homme laborieux, le dissipateur et l’économe, l’imprudent et le sage, obtiennent et conservent des biens égaux. Ce qu’il y a de

  1. Ibid. p. 68 ; man., p.154.