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qu’ils voient cette démonstration ; mais une heure après, ils craignent de s’être trompés.

« .Eh quoi[1] ! ne dites-vous pas que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? — Non. Et votre religion ne le dit-elle pas ? — Non ; car encore que cela est vrai en un sens pour quelques ames à qui Dieu donne cette lumière, néanmoins cela est faux à l’égard de la plupart.

« J’admire avec quelle hardiesse ce personnes entreprennent de parler de Dieu en adressant leurs discours aux impies. Leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m’étonnerais pas de leur entreprise s’ils adressaient leurs discours aux fidèles ; car il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le cœur, voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent ; mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte, et dans lesquels on a l’intention de la faire revivre, ces personnes, destituées de foi et de grace, qui, recherchant de toutes leurs lumières tout ce qu’ils voient dans la nature qui peut les mener à cette connaissance, ne trouvent qu’obscurité et ténèbres, dire à ceux-là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui nous environnent et qu’ils y verront Dieu à découvert, de leur donner pour toute preuve, à ce grand et important sujet, le cours de la lune et des planètes ; et prétendre l’avoir achevée sans peine avec un tel discours, c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles, et je vois, par raison et par expérience, que rien n’est plus propre à en faire naître le mépris[2].

On voit comme en ce dernier passage Pascal traite les preuves physiques elles-mêmes, ces preuves aussi vieilles que le monde, et la raison humaine. Je conviens que son dessein et l’absolu pyrrhonisme exigeaient de lui cela ; mais n’est-ce pas un gratuit et incompréhensible renversement des notions les plus reçues de soutenir, et d’un ton sérieux que cet ordre de preuves n’étant propre qu’à en faire naître le mépris, jamais auteur canonique n’en a fait usage !

« C’est une chose admirable que jamais auteur canonique ne s’est servi de la nature pour prouver Dieu : tous tendent à le faire croire et jamais ils n’ont dit : il n’y a point de vide : donc il y a un Dieu : il fallait qu’ils fussent plus habiles que les plus habiles gens qui sont venus depuis, qui s’en sont tous servi. Cela est très considérable[3]. »

Non, vraiment, cela n’est pas très considérable : car rien n’est plus

  1. Des Pensées de Pascal, p. 250 ; man., p. 29.
  2. Ibid., p. 173 ; man. ; p. 206.
  3. Ibid. p. 172. Boss. Deuxième partie, III, 3. Ce passage manque dans le manuscrit, mais il est dans une des copies.