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petitesse ; comme si en face de l’espace infini il n’avait pas placé lui-même, comme étant meilleur et d’une nature plus relevée, ce roseau pensant, cet être fragile et sublime qui n’apparaît qu’un jour et qu’une heure, mais dans ce jour, dans cette heure, atteint par la pensée et embrasse l’infini, mesure les mondes qui roulent sur sa tête et les rapporte à un auteur tout-puissant, tout intelligent et tout bon ![1]. Et puis, lorsque du haut de ce superbe scepticisme vous aurez décidé que toute relation est radicalement impossible entre Dieu comme infini et l’homme comme fini, par quel prestige, je vous prie, le christianisme pourra-t-il, plus tard, conduire l’homme à Dieu ? Il n’y aura plus ici de médiateur possible : car ce médiateur, pour rester Dieu, devra garder un côté infini ; par ce côté, il échappera nécessairement à l’homme, et l’abîme infranchissable subsistera entre l’homme et Dieu. Pascal ne s’aperçoit pas qu’en renversant toute religion naturelle, il ôte le fondement de toute religion révélée, ou bien qu’il se condamne à des contradictions que nulle logique ne peut supporter. Mais établissons que Pascal rejette toutes les preuves naturelles de l’existence de Dieu.

« Si l’homme s’étudiait le premier, il verrait combien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu’une partie connût le tout[2] ?

« Philosophes. La belle chose de crier à un homme qui ne se connaît pas qu’il aille de lui-même à Dieu ! Et la belle chose de le dire à un homme qui se connaît[3] !

« Parlons suivant les lumières naturelles. S’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni parties ni bornes, il n’a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu’il est, ni s’il est[4].

« Je n’entreprendrai pas de prouver par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu ou la trinité ou l’immortalité de l’ame ; non-seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis ; mais…

« Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées, qu’elles ne frappent pas ; et quand cela servirait à quelques-uns, ce ne serait que pendant l’instant

  1. Voyez l’article sur Vanini, inséré dans ce recueil, livraison du 1er décembre 1843.
  2. Des Pensées de Pascal, appendice, p. 298 ; man., p. 347-371.
  3. Ibid., P. 223 ; man., p. 416
  4. Ibid., app., p. 258, man., p. 4.